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Les juifs américains redoutent le discours de Netanyahou devant le Congrès

En acceptant de s'exprimer devant le Congrès américain à l'invitation des Républicains, le dirigeant israélien s'est attiré les foudres de la Maison Blanche et des démocrates, mais a aussi agacé la communauté juive américaine.

"Comme un nombre grandissant de juifs américains, je veux clarifier une chose : Netanyahou ne parle pas en mon nom." Ce sont les mots qu'a écrits le rabbin David Teutsch dans le "Huffington Post", la semaine dernière. Il précise qu'il n'avait jamais pris position publiquement contre un représentant israélien auparavant, mais que là, il ne pouvait ignorer la "catastrophe" que représente pour lui le discours du Premier ministre israélien prévu le 3 mars prochain, devant le Congrès américain.

"La décision de Netanyahou d'accepter de s'adresser au Congrès à l'invitation des leaders républicains a asséné un grand coup aux liens historiques entre Israël et les États-Unis", poursuit David Teutsch, qui dirige le Centre d'éthique juive à Philadelphie, alors que cette démarche représente une "rupture du protocole", comme l'avait relevé la Maison Blanche. "Prendre le parti des républicains est une attaque contre le président Obama et le parti démocrate", estime le religieux.

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Contrairement aux Israéliens ou même au reste des Américains, les juifs des États-Unis sont profondément démocrates, progressistes et ont témoigné à Barack Obama un soutien inébranlable. Selon un sondage publié en octobre 2013, 70 % des juifs américains se considèrent comme démocrates, alors que seuls 22 % s’identifient comme des républicains. Le sondage révèle également que la plupart d'entre eux désapprouvent la politique du gouvernement israélien actuel sur les principaux dossiers de la région, comme l'Iran, le statut de la Palestine ou la colonisation.

En effet, ils sont seulement 17 % à soutenir la poursuite de la colonisation en Cisjordanie, en expansion depuis l'arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahou en 2009. Et seuls 38 % d’entre eux estiment que le gouvernement actuel fait des "efforts sincères pour parvenir à la paix avec les Palestiniens". Or dans le même temps, 57 % de la communauté juive américaine approuve le travail d'Obama en tant que président, selon un sondage de novembre 2014.

Il n'est donc pas surprenant que nombre de juifs aux États-Unis se sentent frustrés par l'attitude irrévérencieuse du Premier ministre israélien envers le président américain. "Cet incident a poussé de nombreux juifs américains qui se sentaient en désaccord avec Netanyahou depuis longtemps, à sortir du silence", explique à France 24 Benjy Cannon, président du groupe de pression J Street U, qui se définit comme "la famille politique des Américains pro-Israël et pro-paix".

"En ce qui concerne l'Iran, nombre d'entre eux sont en faveur d’une solution diplomatique", donne-t-il comme exemple. Pour lui, l'incident met "les juifs qui soutiennent à la fois Obama et le gouvernement israélien dans une position vraiment difficile".

Pris entre Bibi et Barack

Dans les colonnes d'"Haaretz", l’expert américain Peter Beinart estimait le 11 février dernier que les quelque 5,3 millions de juifs américains (alors qu'Israël compte 8 millions d'habitants) ne devaient pas "se sentir obligés de choisir entre Obama et Netanyahou", car cela risquerait de les éloigner de l’État hébreu. "Reste que c'est précisément la dynamique que Netanyahou a installée", observe Benjy Cannon.

Il explique que cette base de soutien est très concernée par ce qui se passe en Israël, pour des raisons à la fois idéologiques mais aussi financières : au moins 1,4 milliard de dollars sont versés chaque année à des organisations israéliennes par des philanthropes juifs américains.

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"C'est important pour les juifs du monde entier d'avoir une relation forte avec Israël, de s'intéresser à son avenir et de vouloir aider le pays, et notamment pour la jeune génération. Si les juifs continuent d’investir en Israël et d’y être attachés, il faut que leur opinion soit prise en considération par le Premier ministre israélien”, plaide Benjy Cannon.

Pour autant, à quelques semaines d'un scrutin crucial où il affronte le parti travailliste et son chef Isaac Herzog, c'est sur son électorat israélien que Netanyahou concentre toute son attention. Certains analystes estiment qu'une prestation réussie devant le Congrès pourrait lui assurer un quatrième mandat de Premier ministre.

Réparer les dégâts

Mais pour beaucoup de juifs américains, le jeu n'en vaut pas la chandelle. "Nous sommes hautement concernés par la sécurité et le bien-être d’Israël, et il n'y a aucune fracture partisane sur cette question", assure à France 24 le rabbin Rick Jacobs de l'Union pour le judaïsme réformé. "Toute la question est de savoir comment y parvenir, mais je pense que deux semaines avant les élections israéliennes n'est pas le meilleur moment pour en parler devant le Congrès", estime-t-il.

Comme Benjy Cannon, Rick Jacobs a remarqué l'agitation qui s'est emparée de la communauté juive depuis la polémique provoquée par la visite prochaine de Netanyahou. "Il y a des divisions et des luttes partisanes au sein de la communauté, ce qui renforce d’autant plus le risque encouru par cette visite", observe le rabbin.

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Il craint que les religieux comme lui soient ensuite obligés de réparer les dégâts causés par le discours du chef du gouvernement israélien dans la communauté juive. "Je suis sûr qu’il ne manquera pas d’être éloquent pour ce qui est d’évoquer le danger nucléaire que l’Iran représente pour Israël, pour le Moyen-Orient et le monde, mais on aura toutefois un travail de taille après coup", confie-t-il.

"Ce sera à nous de nous assurer qu'il n'y ait pas de dommages irréversibles dans la relation qui lie les juifs des États-Unis à Israël. En somme, peu importe de quel bord politique on est, le lien avec les États-Unis reste le bien le plus précieux d’Israël ", souligne-t-il.