logo

De la difficulté de protéger les Français dans les pays à risque

Si l'État français peut appeler ses ressortissants à quitter une zone à risque, rien ne peut obliger les Français à partir, surtout lorsque leur présence dans un pays est conditionnée par leur situation professionnelle.

Isabelle Prime, la Française enlevée mardi 24 février au Yémen, travaillait comme consultante en développement durable et en communication pour l’entreprise américaine Ayala Consulting, une société de conseil américaine. Elle n’avait rien d’"une tête brûlée", a affirmé son père sur RTL. Mais comme d’autres Français dans le monde, elle avait fait le choix de travailler dans un pays à risque.

Au Yémen, déstabilisé par une offensive des milices chiites Houthis contre le pouvoir central à Sanaa et par l’enracinement d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) sur son terriroire, le risque était tel que l’ambassade de France avait invité ses ressortissants à quitter le pays dès le 13 février dernier.

"Compte tenu des derniers développements politiques, et pour des raisons sécuritaires, cette ambassade vous invite à quitter provisoirement le Yémen, dans les meilleurs délais, en empruntant les vols commerciaux à votre convenance. Cette ambassade sera, provisoirement et jusqu’à nouvel ordre, fermée à compter du vendredi 13 février 2015", peut-on ainsi lire sur le site de l’ambassade de France à Sanaa.

Pour les autorités françaises, la question est complexe. Si l’État se doit d’informer ses ressortissants à l’étranger de l’évolution de la situation politique ou sanitaire dans les différents pays où ils sont présents, il n’a pas autorité pour leur imposer un retour vers la France. Et les obligations professionnelles peuvent peser lourd face aux choix personnels.

"Il y a deux millions de compatriotes dans le monde, dont une partie dans des zones très exposées. On ne peut pas les faire monter de force dans un avion ou un bateau", explique Alain Marsaud, député des Français établis hors de France et dont la circonscription intègre le Yémen.

Des Français pour qui la question sécuritaire "n'est pas forcément déterminante"

Or, seules les très grosses crises, comme en Côte d’Ivoire en 2011 ou en Libye en 2014, peuvent entraîner des rapatriements directement gérés par l’armée française, rappelle-t-il. "Il faut d’abord bien comprendre que les Français de l’étranger, et notamment ceux vivant dans des zones dangereuses, sont des gens assez déterminés, qui ont du caractère, et pour qui la question sécuritaire n’est pas forcément déterminante. J’ai en mémoire le prêtre Georges Vandenbeusch, enlevé au Cameroun en 2013. On lui avait dit de quitter le pays car il se trouvait dans une zone dangereuse, mais il n’avait pas voulu partir, préférant rester avec ses fidèles".

Concernant le Yémen, le Quai d’Orsay avait été alerté fin janvier, dans un courrier du député des Français de l’étranger, "des inquiétudes" et de la "détresse" exprimées par la cinquantaine de Français présents dans la région de Sanaa. Mais aucun projet de rapatriement d’envergure n’a été mis en place.

"Le ministère des Affaires étrangères se couvre dès que ça commence à tousser un peu", affirme Daniel Rémy, patron du groupe Daniel Rémy Consultants, une entreprise spécialisée notamment dans la protection des Français travaillant dans des zones à risque. "Il fait des recommandations, mais les entreprises ont des business importants et ne peuvent pas partir comme ça. Certaines rapatrient les familles dans un premier temps et font appel à des sociétés de protection pour ceux qui restent. Mais cela ne garantit en rien la sécurité des employés lorsqu’il s’agit de pays où il n’y a plus de gouvernement."

"Dans la zone de Sanaa, on ne gère plus rien, c’est trop l’anarchie"

Ainsi, malgré des contrats payés par les grands groupes à prix d’or, les Français travaillant dans des pays à risque censés bénéficier d’une protection ne seraient pas réellement protégés."Dans la zone de Sanaa, les risques sont trop grands, assure Daniel Rémy. On ne gère plus rien là-bas, c’est trop l’anarchie. Et quand vous ne gérez rien, il ne faut pas y aller. Personnellement, je ne mets pas les pieds en Syrie ou en Libye. À partir du moment où ces pays ne sont plus gérés, il n’y a que des coups à prendre."

D’autres sociétés de sécurité y vont malgré tout, mais lorsque la situation sur le terrain vire au drame, c’est souvent l’État qui prend le relais. En Côte d’Ivoire en 2011, des plans d’exfiltration étaient prévus pour les employés de plusieurs entreprises françaises, mais au moment d’agir, c’est bien la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères français, avec le concours de l’armée, qui a évacué les ressortissants.

Les Français indépendants ou employés par des petites structures n’ayant pas les moyens de s’offrir les services d’une société de sécurité sont encore moins bien lotis. C’était malheureusement le cas d’Isabelle Prime au Yémen. Elle "devait partir dans quelques jours" selon son employeur, qui mercredi, n'avait "toujours rien de concret" sur le sort de la jeune femme.