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Les autorités sud-soudanaises ont repoussé à 2017 les élections présidentielle et législatives qu’elles souhaitaient organiser en 2015. Une sanglante guerre fratricide rend la tenue de scrutins impossible dans ce jeune pays.

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Pas sûr cependant que le gouvernement sud-soudanais y croyait lorsque, début janvier, il s’était engagé à organiser "entre le 1er mai et juillet 2015" les élections présidentielle et législatives. Dans un pays secoué par une guerre civile qui a fait des milliers de morts et au moins 2 millions de déplacés depuis la fin de 2013 (voir encadré), les conditions garantissant des scrutins libres, transparents et pacifiques semblaient effectivement loin d’être réunies.

Un drame humanitaire

Depuis le début des combats en décembre 2013, le conflit entre le président Silva Kiir et le chef rebelle Riek Machar a déjà fait plus de 10 000 morts, deux millions de déplacés, et réduit de moitié les revenus pétroliers du pays (passés de 10 à moins de 5 millions de dollars par jour entre 2013 et 2014), comme le rappelle "Jeune Afrique".

Selon les Nations unies, 2,5 millions de Sud-Soudanais sont au bord de la famine. Plus de la moitié des 12 millions d'habitants auraient besoin d'assistance humanitaire.

L'ONU héberge dans ses camps - des installations de fortune entourées de barbelés et gardées par des casques bleus sous-équipés -, quelque 100 000 civils craignant d'être massacrés s'ils se risquent à mettre un pied dehors.

Au sein de la société civile et chez les donateurs étrangers, nombreux étaient ceux en tous cas qui pensaient impossible la tenue de ces consultations. "Au vu de l’insécurité et des déplacements massifs de la population, plus d’un tiers des Sud-Soudanais ne sera pas en mesure de participer aux élections", affirmait ainsi Augustino Ting Mayai du think-tank The Sudd Institute cité dans les colonnes du "Christian Science Monitor". Le gouvernement de Juba aurait-il entendu l’argument ?

"Négocier sans pression"

Vendredi 13 février, le Conseil des ministres a repoussé les élections de deux ans et prolongé d'autant le mandat du président, Salva Kiir. Un sursis que le gouvernement justifie par la nécessité d’instaurer un climat politique apaisé avant la mise en branle du processus électoral. "Cela nous donnera une chance de négocier sans pression", a argumenté le ministre de l'Information, Michael Makuei, en référence à l’interminable différend qui oppose le chef de l’État à son frère ennemi et ancien vice-président, Riek Machar.

Engagées depuis plus d’un an dans un conflit meurtrier, les deux parties multiplient les accords de cessation des hostilités sans parvenir à des résultats concrets. Deux semaines à peine après sa signature le 1er février à Addis-Abeba lors du sommet de l’Union africaine (UA), le dernier cessez-le-feu a volé en éclats le 10 février dans le nord du pays, où le gouvernement accuse les rebelles de bombarder ses positions.

"Nous avons déjà assisté à une succession de signatures depuis 14 mois, et jamais elles n'ont été suivies d'effet, fait observer à "Jeune Afrique" un membre de la délégation onusienne présent à Addis-Abeba. D'où la nécessité d'étudier d'autres pistes. Cette question relève du Conseil de sécurité, mais l'on pourrait, par exemple, décider de sanctions individuelles." Reste que le Kenya et l'Ouganda, qui ont d'importants intérêts économiques au Soudan du Sud, rechignent à frapper de sanctions les belligérants.

"Mépris total pour leur population"

Le camp du président Salva Kiir comme celui de Riek Machar font preuve d’une telle mauvaise volonté que diplomates occidentaux et africains n’hésitent plus à pointer leur irresponsabilité. Lors du dernier sommet de l’UA, certains d’entre eux s’étaient offusqués de ce que les délégations sud-soudanaises, qualifiées de "gros buveurs", menaient à Addis Abeba un train de vie dispendieux, largement financés par l'Union européenne (UE).

>> À lire sur France 24 : "Sud-Soudan : la trahison des héros de l'indépendance"

D’abord hébergées au somptueux Sheraton, où ils profitaient allégrement des 11 restaurants et de la piscine équipée de haut-parleurs sous-marins, les délégations avaient été priées de rejoindre un hôtel deux fois moins cher, mais continuaient de réclamer leurs indemnisations journalières de 220 euros.

"Le gâchis est énorme", soupirait alors un diplomate européen. "On nous pardonnera d'avoir l'impression qu'ils s'intéressent aux per diem, aux hôtels de luxe, aux bars et mini-bars, en profitant des boîtes de nuit d'Addis Abeba, mais pas à la paix, déplorait un autre. Ils ne semblent avoir pris aucune mesure de l'urgence de la situation ou de leur responsabilité vis-à-vis des gens sur le terrain qui meurent. Ils montrent un mépris total pour leur population."

"Une affaire de pouvoir"

Les Sud-Soudanais eux-mêmes ont fait part de leur exaspération. "Certains discutent tranquillement de politique à Addis Abeba pendant que d'autres sur le terrain se battent et meurent, ont déclaré les évêques du pays dans un communiqué. Cette guerre est une affaire de pouvoir." Point de vue partagé par un diplomate dans la capitale éthiopienne, pour qui l'affaire se résume à "deux personnes et leurs hommes de mains qui se battent pour voler les richesses du Soudan du Sud", pays qui a acquis son indépendance il y a seulement trois ans et demi.

Bien que favorables au report des élections, nombre d’observateurs craignent que la prolongation du bail présidentiel ne nourrisse encore davantage le ressentiment de la rébellion envers un chef de l’État "illégitime". D’où l’urgence de parvenir à un gouvernement d’union nationale qui intégrerait le camp de Riek Machar.

Les diplomates avouent de pas avoir d'autre choix que de continuer à travailler à un accord, même a minima. "Un accord qui permettra à chaque partie de voler ce qu'elle veut et arrêtera les tueries, même s'il n'apporte pas une paix durable, confiait un diplomate européen lors du sommet de l’UA. Nous devons arrêter les tueries".

Avec AFP