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Le nouveau gouvernement grec anti-austérité veut se passer de la Troïka pour renégocier les modalités de remboursement de sa dette. Athènes accuse l'instance d'avoir aggravé sa situation économique. À tort ou à raison ?
Yanis Varoufakis ne veut plus entendre parler de la Troïka. Le ministre grec des Finances se rend, mercredi 11 février, à la réunion de l’Eurogroupe avec l’ambition affichée de mettre les trois créanciers publics de son pays - la Banque centrale européenne, l’Union européenne et le Fonds monétaire international - au ban des négociations.
C'est directement avec les États que le gouvernement d'Alexis Tsipras veut dorénavant parler de sa dette. Le Premier ministre a, en outre, annoncé que pour élaborer son plan de réformes, il chercherait conseil auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), basée à Paris.
Traitement de choc
Athènes met donc tout en œuvre pour marginaliser la Troïka qui, jusqu’à récemment, était pourtant considérée comme incontournable. Le nouveau gouvernement anti-austérité en Grèce juge qu’elle a fait plus de mal que de bien. Les contreparties arrachées par "les hommes en costume noir", comme les appelle l’économiste français Jean Pisani-Ferry, en échange de l’aide financière internationale auraient mis la Grèce à terre au lieu de la faire sortir de son endettement.
“Si on considère que la mission de la Troïka était de sauver la Grèce, elle a, en effet, échoué”, assure à France 24 Christophe Blot, spécialiste de l’économie européenne à l’Observatoire français des conjectures européennes (OFCE). Le traitement de choc, à base d’austérité féroce, a entraîné quatre années de récession qui ont eu “des conséquences sociales dramatiques”, rappelle-t-il. Le chômage a explosé, le nombre de suicides a sensiblement augmenté et la situation sanitaire a empiré dans tout le pays.
Surtout, la dette publique, le principal problème d’Athènes, est passée de 150 % du PIB en 2010 à 175 % en 2014. La politique prônée par les créanciers publics n’a donc pas réussi à désendetter le pays. "Le seul point positif est que le déficit grec a diminué", nuance Christophe Blot.
D’autres, pourtant, jugent qu’il est un peu tôt pour tirer ainsi sur l’ambulance. "Il y a certes eu une récession terrible, mais depuis 2014, les indicateurs macro-économiques s’améliorent”, souligne Pascal de Lima, économiste en chef pour le cabinet de conseil EcoCell. Il rappelle que la croissance grecque devrait se situer aux alentours de 3,5 % en 2015 avant d’accélerer encore dans les deux années à venir d’après les prévisions du FMI.
Méchant flic, gentil flic
"La dette grecque est, en outre, pour la première fois soutenable", affirme cet expert. Cela ne signifie pas qu’elle a baissé, mais qu’Athènes peut enfin payer les intérêts de la dette (2,5 %) sans trop plomber sa croissance (3 %).
En somme, Pascal de Lima estime que "la Troïka a, dans la douleur, réussi à apaiser la situation économique grecque". Les représentants des trois institutions auraient, d’après lui, parfaitement tenu leur rôle de "méchant flic".
Il serait dorénavant temps de céder la place au "gentil flic", jugent Pascal de Lima et Christophe Blot. La volonté grecque de mettre la Troïka hors jeu serait, quoi que l’on pense de son bilan, logique. Les trois institutions seraient probablement de moins bons interlocuteurs que les États pour "discuter des termes du remboursement de la dette afin de dégager des marges de manœuvre pour relancer l’économie", explique Pascal de Lima. "C’est aussi plus démocratique qu’un État souverain parle à d’autres États souverains et non pas à des institutions qui n’ont pas de légitimité puisée dans les urnes", rajoute Christophe Blot.
Encore faut-il que les autres pays de la zone euro se montrent plus ouverts que les négociateurs de la Troïka. “Au final, c’est plus une question de politique que d’interlocuteurs”, assure Christophe Blot. Les grandes puissances européennes étaient, en effet, longtemps sur la même ligne économique que la Troïka. “Mais depuis la victoire de Syriza aux législatives, la plupart des gouvernements, dont la France, se sont dits ouverts à la négociation”, rappelle Christophe Blot.
Il reste un pays d’irreductibles qui resistent encore et toujours. L’Allemagne continue à ne pas vouloir entendre parler d’une renégociation qui court-circuiterait la Troïka. Sans feu vert de celle-ci, aucune décision concernant la dette grecque ne saurait être adoptée, a fait savoir l'Allemagne mercredi. La réunion de l’Eurogroupe puis le sommet européen de jeudi 12 février promet, donc, de donner lieu à un nouveau bras de fer entre Berlin et Athènes.