Champion de France et d’Europe en titre, le RC Toulon reçoit jeudi l’équipe sud-africaine des Sharks, un des meilleurs clubs de l’hémisphère Sud. Une rencontre de gala qui s’inscrit dans l’ambitieuse stratégie de développement du club.
Le président du RC Toulon a certes pris ses distances avec le monde de la bande-dessinée, dans lequel il a fait fortune. Mais il compte toujours sur les super-héros pour gagner ses défis. Mourad Boudjellal a, en effet, annoncé qu’il ferait signer la saison prochaine "quatre fantastiques", à savoir quatre joueurs majeurs de la planète rugby. Après la Coupe du monde 2015, qui se tiendra du 18 septembre au 31 octobre, certaines stars de l’hémisphère Sud pourraient être tentées par une expérience "rugbystique" à Toulon, le club européen le plus en vue depuis quelques années. L'une de ces vedettes a d’ailleurs déjà signé un contrat de deux ans à Toulon : le trois-quart centre néo-zélandais Ma’a Nonu, qui pourrait arriver sur la Rade avec d’autres All Blacks.
Le nom de Nonu vient s’ajouter à une constellation d'excellents joueurs qui a commencé à se constituer en mai 2006, après l’arrivée de Mourad Boudjellal à la présidence du RC Toulon. Ce millionnaire pressé reprend un club au palmarès certes prestigieux (3 titres de champions de France) mais qui évolue alors en ProD2, la deuxième division professionnelle française. Pour le ramener au sein de l’élite, Boudjellal sort l’artillerie lourde : il fait signer le capitaine des All black de l’époque, Tana Umaga, et plusieurs internationaux français en fin de carrière. L’armada toulonnaise manque cependant encore d’envergure. D’autres vedettes du rugby mondial rejoignent alors l’aventure l’année suivante, notamment un champion du monde en titre, le Sud-Africain Victor Matfield, ou le demi-de-mêlée George Gregan, recordman mondial des sélections avec 139 matches pour l’Australie.
À Toulon, le mot "anglais" n’est plus systématiquement associé au siège de son port en 1793 et à son contrôle par les forces britanniques. Trois joueurs ont largement continué à redorer le blason de l’Angleterre sur la Rade : Jonny Wilkinson, qui a porté cinq années le maillot toulonnais, avant de prendre sa retraite sportive en juin 2014. Il a été rejoint en 2011 par deux frères anglais, Steffon et Delon Armitage. Le premier, qui a porté cinq fois le maillot anglais, est considéré comme un des meilleurs troisième-ligne du championnat français. Le deuxième, Delon, a eu l’occasion de jouer avec l’équipe de France des moins de 16 ans car il a passé une partie de sa jeunesse avec ses parents à Nice.
Les résultats sont immédiats : le RC Toulon prend la tête du championnat dès le début de la saison 2007/2008 et ne la lâchera plus. Deux ans auront suffi à Mourad Boudjellal pour ramener en Top 14 ce club créé en 1908. Et cet ambitieux rêve alors de voir les Rouges et Noirs s’imposer sur la scène européenne et française. Il mise en 2009 sur un des joueurs les plus talentueux de l’histoire du rugby, Jonny Wilkinson, qui cherche à relancer sa carrière. Lui qui n’a connu que les Newcastle Falcons jusque-là, débarque, à l’âge de 30 ans, dans le club de Toulon. Il y glanera deux Coupes d’Europe, gagnées en 2013 et 2014, et un titre de champion de France, gagné en mai 2014 face au Castres Olympique. Avec lui n’évoluent presque que des joueurs internationaux, français ou étrangers, venus participer à l’incroyable renouveau du RC Toulon.
Cette saison, Jonny Wilkinson n’est plus sur le terrain. Il a remisé ses crampons pour intégrer l’encadrement technique de l’équipe, distillant notamment sa science du jeu au pied auprès des arrières toulonnais. Il se trouve donc au premier rang pour suivre le très beau début de saison du RC Toulon, qui occupe actuellement la tête du TOP 14 et vient de terminer en tête de la poule 3 de la Champions Cup. Une performance qui lui vaudra d’affronter à domicile son adversaire en quart de finale, à savoir les Anglais des Wasps, attendus de pied ferme sur la Rade début avril. Car Toulon vise de nouveau ce titre européen pour devenir ainsi le premier club à décrocher trois titres consécutifs.
"Parce que Toulon"
L’appétit toulonnais semble sans limite et rares sont les clubs capables de rivaliser. Il n’est pourtant pas le club français doté du plus gros budget. Selon les statistiques diffusées en août dernier par la Ligue nationale de rugby (LNR), le Stade toulousain est le mieux doté, avec un budget prévisionnel de 35 millions d’euros, devant Clermont (27,9 millions) et Toulon (25,37 millions). Des chiffres qui donnent lieu à de vives polémiques dans le milieu du rugby. Le président du Racing-Metro 92 a notamment reproché à son homologue toulonnais de se livrer à de savants exercices comptables pour échapper à la règle de plafonnement de la masse salariale édictée par la LNR.
À chaque attaque contre sa gestion ou son club, Mourad Boudjellal répond avec la même intensité. Jacky Lorenzetti en a ainsi fait les frais après les piques lancées l’été dernier. "Au Racing-Métro, il n'y a aucune activité commerciale. Il n'y a aucun engouement populaire et ça, Jacky Lorenzetti a du mal à l'avaler. Chez nous, on a les supporters payants ; à Colombes (où se trouve le stade du Racing Metro 92), les supporters sont payés pour venir voir les matches. Les supporters payés, justement, ce sera la grande invention de Jacky Lorenzetti" , a déclaré Boudjellal au quotidien "La Provence".
Cette passe d’armes s’inscrit dans une longue série depuis l’arrivée de Mourad Boudjelllal dans le monde du rugby. Il n’a pas hésité à secouer les instances en place, en rappelant, par exemple, que le rugby à XV a grandi en France sous le régime de Pétain, ou en affirmant que ce sport est raciste. "Dans le rugby, je pense que tout ça (ses origines, NDLR) ne me donne pas la même respectabilité que d'autres présidents. J'en suis intimement convaincu", expliquait en 2013 dans le quotidien régional "Sud-Ouest" le président toulonnais. Il a ajouté avoir fait l’objet d'"insultes racistes dans les stades".
Ces sorties médiatiques font le bonheur de la plupart des supporters toulonnais, qui le remercient d’avoir permis au club d’atteindre en quelques années le sommet de l’Europe. Et si certains souhaiteraient voir plus de joueurs français porter le maillot toulonnais au milieu de l’aréopage de stars internationales, ils ne peuvent que saluer la réussite de la méthode Boudjellal. Le RCT a su miser sur des rugbymen de grands talents venus se relancer sur la Rade ou terminer leur carrière dans cette ville folle de rugby. Et les fans savent qu’ils peuvent compter sur les joueurs et la direction du club pour relever de nouveaux défis. Tout simplement "Parce que Toulon", comme le dit le cri de guerre entonné avant chaque match au stade Mayol.