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Victoire de Syriza : "Une forme d’espérance pour une autre démocratie"

La victoire aux élections législatives grecques du parti Syriza laisse espérer, pour les autres partis de la gauche radicale en Europe, un effet de contagion. Mais l'historien et sociologue Marc Lazar estime peu probable que le cas grec s'exporte.

Au lendemain de la victoire en Grèce du parti d’Alexis Tsipras aux élections législatives, toutes les gauches radicales européennes se mettent à rêver à une vague Syriza qui mettrait fin aux politiques d’austérité. Mais pour le spécialiste des partis de gauche européens Marc Lazar, historien et sociologue à Sciences-Po, le risque de contagion est limité. Selon lui, les particularités grecques risquent de faire de la victoire de Syriza un cas unique en Europe, mais celle-ci pourrait tout de même permettre un débat sur les politiques d’austérité.

France 24 : En quoi la victoire de Syriza en Grèce est-elle historique ?

Marc Lazar : Parce qu’elle met fin, en Grèce, à près de 40 ans d’un système bipartisan caractérisé par une alternance entre le parti de droite, Nouvelle Démocratie, et le parti de gauche, le Pasok. Et elle est historique pour l’Europe car on assiste pour la première fois, dans un pays membre, à la victoire d’un parti qui conteste ouvertement la politique d’austérité prônée par l’Union européenne.

La victoire de Syriza a été saluée en Europe par tous les autres partis de la gauche radicale. Le leader du Front de Gauche en France, Jean-Luc Mélenchon, a même parlé lundi matin d’un possible "effet de domino" qui pourrait permettre de refonder l’Europe...

Il faut être vraiment prudent car la Grèce a connu une situation politique et économique exceptionnelle. L’Espagne, qui a aussi été frappée par des politiques d’austérité terribles et qui connaît un fort taux de chômage, se rapproche de la Grèce. Podemos est une formation encore minoritaire mais qui progresse beaucoup dans les intentions de vote pour les prochaines élections générales en fin d’année. La différence, c’est que Podemos est une organisation très récente. C’est la traduction politique d’un mouvement social, alors que Syriza est une coalition de partis.

En France, pour le moment, il n’y a pas de perspective électorale nationale avant 2017, mais les différentes forces vont très certainement essayer de jouer sur ce levier pour provoquer une vague Syriza.

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Le Front de Gauche a-t-il raison d’espérer des succès électoraux similaires alors qu’en France, c’est le Front national (FN) qui semble avoir capté la fronde anti-austérité ?

La situation est incertaine. D’abord, le Front de Gauche n’a jamais eu de résultats à la hauteur de ses espérances. Il a fait 6,33 % aux élections européennes l’an dernier. Il y avait jusqu’ici une forme de désespérance à la gauche de la gauche en France, même si depuis une semaine se met en place une forme de recomposition politique, avec le Parti communiste, le Front de Gauche, Cécile Duflot pour les Verts et un certain nombre d’élus du Parti socialiste (PS).

Est-ce que cela peut déboucher sur un front commun ? On peut en douter car le mode de scrutin en France pose le problème du rapport au PS. La ligne des communistes est de conclure des accords électoraux avec les socialistes, les Verts sont divisés sur la question, le Front de Gauche n’en veut pas et les frondeurs du PS risquent l’exclusion et, par conséquent, l’échec électoral.

La deuxième différence avec Syriza, c’est qu’il y a de nombreux désaccords entre toutes ces formations. Le troisième obstacle, c’est qu’en France, le système politique est déterminé par l’élection présidentielle et il y a beaucoup d’ambitions personnelles à gauche : Jean-Luc Mélenchon, Cécile Duflot, Pierre Laurent et d’autres rêvent d’être candidat en 2017. En l’état actuel, il est donc difficile d’imaginer la possibilité d’avoir un candidat unique.

Autre problème pour la gauche radicale française, l’électorat qu’elle souhaite séduire a été capté par le Front national, alors qu’en Grèce, les électeurs ont préféré Syriza au parti d’extrême droite Aube dorée.

Exactement. C’est une autre différence majeure. Jusqu’ici, en France, le parti de la dénonciation de l’austérité, de l’Europe, le parti qui fustige depuis très longtemps le PS et l’UMP, c’est le Front national. Le FN est arrivé en tête aux élections européennes et est clairement devenu le premier parti dans les couches populaires. Son implantation risque de contrarier les ambitions de la gauche radicale.

Quant au choix des électeurs grecs, il y a d’abord une distinction historique à faire car la Grèce a connu une dictature après la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, Aube dorée est un parti ouvertement néo-nazi, ce qui n’est pas le cas du FN, notamment depuis que Marine Le Pen est à sa tête. Elle a réussi à se faire la défenseure des valeurs de la citoyenneté française et de la préférence nationale. Enfin, la question de l’immigration ne se pose pas du tout de la même façon en Grèce et en France. Il y a donc de fortes différenciations à faire entre le rapport qu’ont les électeurs français et les Grecs avec l'extrême droite.

Le ministre espagnol de l’Économie a déclaré qu’il n’y avait aucun risque de contagion, notamment car il n’y avait pas eu de plan de sauvetage. En quoi le cas grec est-il unique en Europe ?

Effectivement, la Grèce a connu une crise économique exceptionnelle en raison des politiques d’austérité imposées en contrepartie du plan de sauvetage. Étant donné l’ampleur de la dette grecque, il n’y a pas de comparaison exacte. Il y a eu une explosion du chômage, une réduction du pouvoir d’achat, une baisse des pensions de retraites, d’énormes problèmes de santé. Ça a été une situation exceptionnelle doublée d’une crise politique avec deux partis, qui se partageaient le pouvoir depuis la fin de la dictature, caractérisés par une corruption assez forte.

L’autre élément, c’est l’effondrement du parti de gauche modérée, le Pasok. Les électeurs l’ont rejeté car il a été associé à la politique d’austérité de la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international). Il y avait donc une volonté de changement de la part des électeurs, qui savent également que le Pasok est historiquement gangréné par la corruption et le clientélisme.

Enfin, il y a un élément important, qu’on retrouve aussi chez Podemos, dans ce vote. Il s’agit certes d’un cri de douleur et de souffrance qui s’exprime, mais il y a aussi une forme d’espérance et d’aspiration pour une autre démocratie. C’est ce qui distingue ces partis du FN et des autres partis d’extrême droite en Europe. Contrairement à ces derniers, Syriza veut maintenir la Grèce au sein de l’Union européenne, de l’euro et de l’Otan mais espère pouvoir construire une autre Europe.

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La victoire de Syriza peut-elle mettre la pression sur les gauches modérées ?

Tout à fait. La victoire de Syriza remet sur la table la question de l’austérité. Peut-on continuer de telles politiques avec un tel coût social ? Il va falloir examiner les réponses de l’Allemagne, de la France, de la Troïka, mais cette victoire place la gauche réformiste dans une situation difficile. D’un côté, Syriza permet à François Hollande, Manuel Valls et Matteo Renzi (le président du Conseil italien) de rouvrir le dossier de l’austérité. Cette victoire peut les arranger car elle leur offre la possibilité d’être plus influents par rapport à Angela Merkel. Mais Hollande, Valls et Renzi ne sont pas non plus dans la même optique que la Grèce. Leur position, c’est d’accepter de faire des réformes de structure, comme la loi Macron en France ou la réforme du marché du travail en Italie, mais de demander en échange d’assouplir les politiques économiques européennes.

La situation des gauches modérées va également se compliquer par rapport à leur aile gauche. L’effondrement du Pasok en Grèce est une leçon qui doit leur servir. L’inquiétude du Parti socialiste français, c’est de devenir le troisième parti du pays. Bien sûr, le PS est tout à fait en mesure de rivaliser avec l’UMP et le FN, mais le risque d’un effondrement complet à l’instar de ce qui est arrivé au Pasok est une réelle inquiétude.

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Syriza va maintenant être jugé sur sa capacité à gouverner. Quel impact ses réussites ou ses échecs peuvent-ils avoir sur le reste de la gauche européenne ?

C’est l’épreuve de vérité pour Syriza. Il faut rappeler que c’est un parti avec des sensibilités différentes. Son leader Alexis Tsipras va être contraint à faire des compromis, d’abord pour former un gouvernement et ensuite au niveau européen. Des divergences apparaîtront. Historiquement, ce type de mouvement contestataire et radical dans sa rhétorique, qui promet des lendemains qui chantent comme ce fut le cas dimanche soir à Athènes, provoque de fortes déceptions quand il faut réellement faire de la politique. Et puis, il ne faut pas oublier que Syriza n’a aucune expérience de gouvernement. Il y a un certain nombre de responsables qualifiés au niveau économique, mais pour les réformes administratives à mener, la politique internationale et tout le reste, vont-ils trouver des gens compétents ? C’est une aventure qui s’annonce ici.