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Les journalistes d’Al-Jazira se déchirent à propos de "Je suis Charlie"

La révélation d’un certain nombre d’e-mails internes de la chaîne anglophone d’Al-Jazira sur l’attaque terroriste contre "Charlie Hebdo" dévoile le malaise profond provoqué par cet événement parmi des journalistes musulmans "modérés".

La chaîne anglophone d'Al-Jazira est réputée pratiquer un journalisme équilibré. Si équilibré qu’elle semble ces jours-ci renvoyer dos à dos les assassins des caricaturistes et leurs victimes. Dans un e-mail envoyé par le directeur de la rédaction de la chaîne, Salah-Aldeen Khadr, à tous ses journalistes, et présenté comme une contribution pour réaliser "la meilleure couverture possible" de ce drame, celui-ci estime que le slogan "Je suis Charlie" est "aliénant".

Il recommande que cet événement ne soit pas présenté comme une "attaque contre la liberté d’expression", mais plutôt comme un "affrontement entre deux franges extrémistes".

"Défendre la liberté d'expression face à l'oppression est une chose, revendiquer le droit d'être odieux et offensant juste parce que vous le pouvez est infantile", écrit Salah-Aldeen Khadr. "Provoquer les extrémistes n’est pas un geste courageux, si votre manière de le faire offense des millions de gens modérés. Et dans un climat où la réponse violente - bien qu'illégitime - est un risque réel, adopter une telle posture sur un principe que pratiquement personne ne conteste est pire qu'inutile : c'est inutilement une question d'ego."

Choc culturel

Certains correspondants de la chaîne aux États-Unis et au Royaume-Uni ont jugé ce message inopportun et l’ont dit à leurs collègues. La correspondante à Paris, Jacky Rowland, une ancienne de la BBC, a elle répondu en utilisant dans son mail le hashtag #journalismisnotacrime (le journalisme n’est pas un crime).

S'en est suivi un vif échange, qui démontre une sorte de choc culturel entre les journalistes occidentaux de la chaîne et leurs confrères arabes. Ces derniers ont répliqué en défendant le point de vue de leur directeur. Certains allant même plus loin, tel que Mohamed Vall Salem, qui a d’abord travaillé pour le canal arabophone de la chaîne. Selon lui, "si vous insultez un milliard et demi de gens, ne soyez pas surpris si un ou deux parmi eux veulent vous tuer, l’insulte n’est pas du journalisme et ne pas faire convenablement du journalisme est un crime".

Lire l’intégralité de l’échange de mails entre les journalistes d’Al-Jazira (en anglais).