Près de 50 dirigeants du monde entier sont présents à la marche républicaine, dimanche à Paris, pour dénoncer le terrorisme après les attaques contre "Charlie Hebdo". Mais certains d'entre eux dirigent des pays qui incarcèrent des journalistes.
L’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) s’est fendue, dimanche 11 janvier, jour de la marche contre le terrorisme à Paris, d’un communiqué se félicitant de la présence nombreuses de nombreux chefs d’État et de gouvernement, mais s’interrogeant sur la venue de certains dirigeants.
"Nous devons nous montrer solidaires de 'Charlie' sans oublier tous les Charlie du monde", déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. "Il serait intolérable que des représentants d’États étrangers qui réduisent les journalistes au silence dans leurs pays profitent de l’émotion pour tenter d’améliorer leur image internationale."
L’organisation liste par ailleurs plusieurs représentants de pays qui font figure de mauvais élèves dans le classement de la liberté de la presse. En voici quelques uns.
• L'Algérie – 121e au classement (sur 180) : représentée par Ramtane Lamara, ministre des Affaires étrangères.
La présence du ministère algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamara, fait jaser en Algérie. Le site Algérie-Focus s’étonne que "les marches et manifestations publiques soient interdites en Algérie, mais les ministres algériens ont le droit de marcher dans les rues de… Paris !" De nombreuses manifestations s’opposant à un quatrième mandat d’Abdellaziz Bouteflika avaient en effet été réprimées en avril.
• La Russie – 148e au classement : représentée par Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères.
De nombreux journalistes russes sont poursuivis par la justice, notamment en Sibérie, et deux associations de soutien aux médias ont été classées "agents de l’étrange", suspectées de comploter contre le président russe. Alexeï Navalny, blogueur et opposant le plus célèbre à Vladimir Poutine, est également la cible d’un acharnement judiciaire et a été condamné début janvier à 3 ans et demi de prison avec sursis pour détournements de fonds.
• La Turquie – 154e au classement : représentée par Ahmet Davotoglu, Premier ministre.
70 journalistes sont actuellement poursuivis dans http://fr.rsf.org/turquie-coup-de-filet-contre-la-confrerie-19-12-2014,47385.html " target="_blank">une affaire de corruption qui éclabousse le cabinet de l’ancien Premier ministre devenu président Recep Tayyip Erdogan, depuis plus d’un an. Certains directeurs de journaux sont également incarcérés pour leur liens présumés avec Fethullah Gülen, un opposant au pouvoir en place à Ankara.
• L’Egypte – 156e au classement : représentée par Sameh Choukry, ministre des Affaires étrangères.
http://fr.rsf.org/egypte-le-nouveau-proces-des-journalistes-01-01-2015,47441.html " target="_blank">Seize journalistes, dont trois d’Al-Jazeera, sont actuellement dans les prisons égyptiennes. Ces trois derniers sont retenus prisonniers depuis le 29 décembre 2013 pour "diffusion de fausses nouvelles" et "appartenance à une organisation terroriste". Ils ont été condamnés à des peines allant de sept à dix ans de détention.
• Le Gabon – 98e au classement : représenté par Ali Bongo, président.
Au Gabon, Jonas Moulenda, journaliste d’investigation qui a enquêté sur les crimes rituels, affirme avoir été victime de menaces de mort répétées et a trouvé refuge au Cameroun depuis le 3 janvier.
• Le Bénin – 75e au classement : représenté par Boni Yayi, président.
Le président Boni Yayi a décrété un jour de deuil national au Bénin en hommage aux victimes dans les différentes attaques à Paris, entre le 7 et le 9 janvier. "Des larmes de crocodiles", selon plusieurs organes de presse africains, qui rappellent que plusieurs journaux, comme "Le Béninois libéré" ou "L’indépendant", ont été visés par les autorités béninoises pour offense au chef de l’État. Certains journalistes ont été condamnés à ce titre à des peines de prison allant jusqu’à deux ans et demi.
• La Hongrie – 64e au classement : représentée par Viktor Orban, Premier ministre.
La Hongrie impose depuis le mois de juin une taxe sur les revenus publicitaires pour les médias générant plus de 65 millions de revenus annuels, qui touche de plein fouet l’une des principales chaînes indépendantes, RTL Klub, tandis que TV2, une chaîne privée réputée proche de Fidesz, le parti de Viktor Orban bénéfice d’une exception pour cette taxe. En octobre, ce sont les citoyens hongrois qui sont descendus dans la rue pour s’opposer à une taxe sur la consommation d’internet.
RSF dénonce "une récupération indigne et appelle à la solidarité avec tous les Charlie du monde" http://t.co/8Ja0gf9Swi
— RSF / RWB (@RSF_RWB) 11 Janvier 2015D'autres personnalités, comme le couple royal Abdallah II et Rania de Jordanie ou le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, cheikh Abdallah ben Zayed Al-Nahyane sont issus de pays où la liberté de la presse n'est pas au mieux : les deux pays se classent respectivement 141e et 118e sur 180.
À l'inverse, la manifestation de dimanche a également réuni les représentants des trois pays champions de la liberté d'expression : la Finlande (1re), les Pays-Bas (2e) et la Norvège (3e).