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En quelques semaines, le mouvement Pegida a attiré des milliers d'adeptes en Allemagne en faisant de la lutte contre "l'islamisation de l'Occident" sa priorité. Parti de Dresde, en Saxe, le mouvement a obligé Angela Merkel à réagir.

Tous les lundis, les habitants de Dresde, dans l’est de l’Allemagne, assistent au même rituel. Sur les coups de 18 h 30, plusieurs milliers de personnes se réunissent sous la bannière des "Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident" (Pegida) pour défiler aux cris de "Wir sind das Volk !" ("Nous sommes le peuple !"). Franchement islamophobe, le mouvement veut s’attirer la sympathie des Allemands en reprenant les codes de 1989. Le slogan et la manifestation hebdomadaire ont ainsi été empruntés aux Allemands de l’Est qui battaient le pavé chaque semaine, il y a un peu plus de 25 ans, avant que le Mur de Berlin ne finisse par tomber.

Ils étaient quelques centaines, lors de la première manifestation en octobre. Depuis, le mouvement démontre chaque semaine sa capacité à séduire. Lundi 22 décembre, pas moins de 17 500 manifestants ont répondu à l’appel de Pegida. Et un récent sondage Forsa pour le magazine "Stern" confirme cette popularité grandissante : 13 % des Allemands se disent ainsi prêts à participer à une marche contre les musulmans en cas d’organisation de ce genre de manifestation dans la ville où ils habitent. Et 29 % des personnes interrogées estiment que l’islam a une influence tellement importante sur la vie en Allemagne que ces marches sont justifiées.

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Le succès du mouvement a d’abord étonné, puis inquiété. Si bien que la chancelière allemande Angela Merkel s’est sentie obligée lors de son message du Nouvel An, mercredi 31 décembre, de mettre en garde ses compatriotes contre la tentation de l’islamophobie.

"Aujourd'hui, beaucoup de gens crient aussi tous les lundis 'Nous sommes le peuple'... Mais en fait ils veulent dire : 'vous n'avez aucune place ici, en raison de votre couleur de peau ou de votre religion'", a lancé la chancelière. Et de poursuivre : "À tous ceux qui participent à ces manifestations, je dis : 'ne suivez pas ces gens-là !' Car, dans leur cœur, trop souvent, il y a des préjugés, de la froideur, et même de la haine."

Pegida est soutenu par divers mouvements d’extrême droite ou néonazis et a également reçu l’appui d’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le jeune parti anti-euro et populiste. Sa création est l’œuvre de Lutz Bachmann, un photographe et graphiste de 41 ans qui raconte avoir été agacé de voir à la télévision, en octobre, des Kurdes et des salafistes se battre dans les rues de Hambourg ou des Kurdes défiler à Dresde contre la guerre en Syrie et pour la livraison d’armes aux opposants à l’organisation de l'État islamique.

Un ancien délinquant comme leader du mouvement

Bachmann se réunit alors avec quelques amis et lance rapidement, avec l’aide des réseaux sociaux, l’idée d’une manifestation. La première se tient le 20 octobre. Ce soir-là, ils sont environ 500 à exprimer dans la rue leurs inquiétudes face à ce qu’ils perçoivent comme une "islamisation de l'Occident", ou face à l'afflux de réfugiés, alors que l'Allemagne est devenue depuis peu la principale destination d'immigration en Europe.

Les détracteurs de Lutz Bachmann mettent en avant son passé tumultueux. Plusieurs fois condamné à de la prison ferme ou avec sursis pour des cambriolages, des braquages ou du trafic de cocaïne, le leader du mouvement Pegida préfère minimiser et reconnaît seulement avoir commis "divers délits" comme prendre "les transports en commun sans payer de ticket".

Ses antécédents judiciaires ne l’empêchent pas de clamer haut et fort qu’il est inquiet de voir les étrangers profiter de l’État providence allemand, le tout au détriment des personnes âgées, dont certaines "ne peuvent se payer une part de gâteau de Noël". Son discours fait mouche auprès d’un public qui craint de plus en plus de voir l’Allemagne perdre son identité.

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Pourtant, les 531 000 habitants de Dresde ne sont pas les plus exposés à ces flots de réfugiés qu’ils dénoncent, seulement 2,5 % de la population étant étrangère. Mais peu importe, les chiffres officiels sont formels : leur pays a accueilli près de 400 000 migrants en 2012, faisant de l'Allemagne la principale destination d'immigration en Europe. Et l’immigration nette est à son niveau le plus élevé depuis vingt ans. Le mouvement Pegida n’a donc pas besoin de se faire violence pour recruter de nouveaux sympathisants. Déjà des manifestations similaires essaiment dans d’autres villes allemandes.

Mais les voix et les initiatives se font de plus en plus nombreuses pour condamner ou contrer cet élan. Le 22 décembre, alors que des milliers de personnes défilaient pour Pegida dans la capitale de Saxe, ils étaient 20 000 dans toute l'Allemagne, et notamment 12 000 à Munich, à arpenter les rues contre le racisme et l'exclusion. La prochaine manifestation, lundi 5 janvier, ne restera pas non plus sans réponse : la cathédrale de Cologne sera en effet plongée dans l’obscurité lundi soir, ont annoncé vendredi des responsables religieux, en signe de protestation.

Avec AFP et Reuters