envoyée spécial à Dunkerque – Chaque année, des centaines d'Irakiens, Iraniens et Afghans quittent leur foyer dans l'espoir de rejoindre l'Angleterre. FRANCE 24 les a rencontrés à Dunkerque, où ils attendent pendant des mois avant de parvenir à traverser la Manche.
Entre les dunes qui entourent le port de Dunkerque, des dizaines d’hommes et d’adolescents ont confectionné des abris de fortune, d’où ils ne sortent que pour récupérer un peu de nourriture et quelques vêtements apportés par des associations humanitaires locales.
Plus d'une centaine de candidats à l'immigration, principalement des Afghans, des Iraniens, des Kurdes d’Irak et des Vietnamiens, se sont illégalement installés dans cette ville portuaire du nord de la France, qui voit partir chaque jour plusieurs cargos à destination de Douvres, en Angleterre.
Nombre d’entre eux ont vendu leur terre ou hypothéqué leur maison pour pouvoir parcourir en camion les milliers de kilomètres qui les séparent de ce qu’ils considèrent comme un eldorado : le Royaume-Uni.
"Il y a du boulot pour tout le monde en Angleterre, affirme Habib, un jeune Irakien de 21 ans. Dans tous les autres pays d’Europe, la barrière de la langue pose problème, mais là-bas notre communauté va nous aider”, explique-t-il dans un anglais approximatif.
En attendant de pouvoir traverser la Manche, on vit comme on peut. Après avoir passé la nuit sur des bâches en plastique ou des morceaux de cartons, ces migrants organisent leur journée en fonction de ce que les associations locales leur ont apporté comme nourriture, vêtements et médicaments.
"Quelques fois, ils restent trois jours sans manger", explique Françoise Levoisier de l’ONG française Salam, qui, comme tant d’autres bénévoles, se rend trois fois par semaine dans le camp avec un repas chaud préparé à la maison
Ne disposant d’aucune installation leur permettant de se laver sur place, les migrants peuvent également se rendre aux douches municipales grâce aux coupons mis à leur disposition.
Prier sans se laver
"Je prends une douche une fois par semaine. Parfois deux, raconte Azim, un Pakistanais de 25 ans qui partage sa tente avec cinq autres Afghans. Ce qui me dérange le plus, c’est de prier sans pouvoir me laver avant comme l'exige l'islam," se plaint-il.
Régulièrement, la police se rend dans les squats pour en expulser les migrants. Quelque 200 personnes ont ainsi été arrêtés, fin avril à Calais, autre ville portuaire situé à une quarantaine de kilomètres de Dunkerque. Tous ont été relâchés le lendemain.
"La police multiplie les descentes, mais les migrants reviennent toujours, souvent accompagnés de nouveaux compagnons de route", explique Françoise Levoisier.
En visite à Calais, le 23 avril, le ministre français de l'Immigration, Eric Besson, a annoncé la fermeture "avant la fin de l'année" de la "jungle". Mais a exclu la construction d'abris permanents ou de centres susceptibles d’accueillir des migrants désireux de relier l’Angleterre. En clair, il n’y aura pas de "mini Sangatte", ce centre de la Croix-Rouge que les autorités françaises ont démoli en 2002.
"Pas de chance, mauvaise chance"
Ali, un Iranien de 40 ans, vit depuis plusieurs mois dans le camp de Grande Synthé, l’un des camps illégaux de Dunkerque. Après de nombreuses tentatives ratées, il est finalement parvenu à traverser la Manche en début de semaine... Pour se faire immédiatement refouler à la frontière anglaise. "Pas de chance, mauvaise chance," dit-il aux bénévoles, la larme à l’œil.
De nombreux Irakiens et Afghans ont quitté leur pays pour échapper aux conflits qui sévissent dans leur pays, laissant, pour certains d’entre eux, un emploi stable et des affaires florissantes.
"Je ne sais pas pourquoi j’ai vendu mon magasin pour venir, se demande Asif, un jeune Afghan de 27 ans, sur les routes depuis neuf mois. J’avais une voiture, une maison. Maintenant, je n’ai plus rien", regrette-t-il, les paumes des mains grandes ouvertes. Asif souhaite désormais rentrer au pays. Mais, affirme-t-il, sa demande de visa a été rejetée. Il a donc choisi la voie illégale pour s’en procurer.
Rebin Karim, un Kurde d’Irak de 28 ans, professeur de géographie de la province de Kirkouk, dit également avoir hâte de rentrer chez lui. "La vie était très dure en Irak, des bombes tombaient toutes les heures, donc j’ai emprunté de l’argent pour partir, se rappelle-t-il. Mais ici la vie est pire. Je n’ai jamais imaginé pouvoir vivre ainsi, à quémander de quoi manger et m’habiller. J'envisage maintenant de rentrer", confie-t-il sous les huées de ses camarades dépités de le voir baisser les bras. Car pour une large majorité d’entre eux, il n’existe pas de ticket retour.
"La plupart d'entre nous avons contracté d’importants prêts - en 11 000 et 15 000 euros - et nous serions incapables de les rembourser si nous devions rentrer. Nos prêteurs transformeront nos vies en enfer," explique Amrik Singh, originaire du Penjab, dans le nord-ouest de l'Inde.
Pour Azmaray Khan, un Pachtoune d’Afghanistan, c’est aussi une question d’honneur : "Si on rentre sans avoir déposé un pied en Angleterre, nous serions considérés comme des lâches aux yeux de nos familles."
"On va essayer encore et encore, affirme, dans un anglais timide, Abdul Karim, un Afghan de 13 ans. Mon frère est parvenu à rejoindre l’Angleterre. J’ai déjà échoué trois fois mais je le retrouverai rapidement de l’autre côté de la Manche. Incha'Allah !"