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ONG islamiques et jihad : les liaisons dangereuses ?

L’ONG islamique Perle d’espoir est accusée par les autorités françaises de financer des organisations jihadistes en Syrie. Un cas particulier qui fait craindre un amalgame entre "humanitaire islamique" et "couverture pour le terrorisme".

C'est une association qui fait parler d'elle ces derniers temps. L'ONG caritative Perle d’Espoir, née en 2012 à Paris, et chargée d'apporter une aide médicale et alimentaire à la population syrienne, est aujourd’hui sur la sellette pour soupçons de financement du terrorisme et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Son numéro deux, Nabil O., âgé de 22 ans, est accusé d’avoir détourné des fonds de l’association avant de rejoindre un groupe armé en Syrie, au début de l’année 2014. Une accusation grave qui jette aujourd’hui l’opprobre sur ces associations islamiques et soulève des questions sur un éventuel glissement entre humanitaire et jihad armé.

Qu'est-ce qu'une ONG islamique ?

Selon le président de l'association Barakacity, une ONG islamique "collecte des aumônes légales qui doivent répondre à un circuit de dépenses précis, en conformité avec la législation islamique". Ces fonds sont redistribués sous forme d'aide alimentaire, vestimentaire ou médicale aux populations victimes de guerre "sans distinction de confession religieuse".

Selon Khattar Abou Diab, consultant géopolitique et professeur à l'université Paris-Sud, une ONG islamique est une association liée à l'islam de la même façon que le Secours Catholique est "lié à l'Église" ou le Secours Populaire est "lié au Parti communiste français".

L’amalgame est hautement préjudiciable, regrette Idriss Sihamedi, président de l’ONG Barakacity, une association islamique, c'est-à-dire "en conformité avec la législation islamique" et dispensant une aide alimentaire, vestimentaire et médicale en Syrie, à Gaza, en Jordanie ou encore en RD Congo. "C’est le contexte géopolitique du moment qui explique ce type de dérives. Les associations islamiques sont aujourd’hui sujet à certains fantasmes", déplore-t-il.

>> À lire sur France 24 : "Faute de fonds, l'ONU suspend son aide alimentaire aux réfugiés syriens"

Barakacity a récemment été accusé par un média français de prosélytisme islamique, "sans aucune preuve", tonne son président. "De telles suspicions, complètement erronées, sont la porte ouverte à des accusations encore plus graves, comme notre participation au ‘business du jihad’ […] Nous sommes une ONG sérieuse, nous ne finançons évidemment aucun groupe armé […] Nos comptes sont transparents et propres, toutes nos dépenses sont facturées et traçables", se défend Idriss Sihamedi.

"Il y a toujours eu des dérives"

Pourtant, force est de constater que nombre d’ONG islamiques ou opérant dans le monde arabe sont régulièrement soupçonnées de collusion avec les groupes armés. La faute, sans doute, à de nombreux précédents. En Europe par exemple, l’association CagePrisoners (CAGE), basée en Angleterre, est dans l’œil du cyclone. Son porte-parole est accusé d’avoir utilisé les fonds récoltés pour financer des mouvements terroristes en Syrie. En janvier, l'ONG turque IHH (Foundation for Human Rights, Liberties, and Humanitarian Relief) a été accusée d'avoir convoyé des armes à destination de la Syrie. Quant à l'association AlKarama, basée à Genève, son ancien président Abdul Rahman Omeir al-Naimi a été ajouté à la liste de sanctions du Comité de l'ONU contre Al-Qaïda. Il a quitté ses fonctions cet été, selon AlKarama.

L’humanitaire, dans sa définition la plus large, a très souvent été lié au politique, explique Khattar Abou Diab, consultant géopolitique et professeur à l'université Paris-Sud. "Il y a toujours eu des dérives. Se poser la question de la collusion entre caritatif et terrorisme est donc légitime. Mais c’est loin d’être une spécialité des mouvements islamistes", assure-t-il. Une opinion reprise et complétée par Alain Rodier, spécialiste du renseignement militaro-industriel et du terrorisme. "Toute structure qui a une influence sur une terre de guerre suscite un intérêt politique", assure-t-il. Intérêt alimentaire, médical mais aussi prosélyte et financier.

Le point de départ : le conflit afghan

"Le point de départ de la collusion ‘humanitaire/politique’ a débuté pendant le conflit en Afghanistan [dans les années 1980]. À cette époque, les ONG [occidentales et islamiques] ont surtout servi de couverture aux terroristes mais aussi aux services secrets occidentaux, saoudiens…", explique-t-il.

Aujourd’hui, ces associations souffrent de cette réputation et peinent donc à s'en affranchir. En 2006 déjà, la revue "Vacarme" s’interrogeait sur "le rôle purement humanitaire des ONG islamiques ?" Dans l’esprit collectif, le qualificatif "islamique" n’a jamais cessé d’être complémentaire d’une forme de militantisme politique. "Ces suspicions de connivence sont d’autant plus complexes à éradiquer qu’une ONG, comme Perle d’Espoir, peut détenir sans le savoir dans ses rangs, des militants de la cause jihadiste. Certaines personnes profitent des associations caritatives pour faire du prosélytisme, ou pour détourner des fonds, de l’aide. Ce n’est une raison pour faire un mauvais procès aux ONG islamiques. La grande majorité effectue un travail purement humanitaire", tient à préciser Khattar Abou Diab.

"Différencier ONG européennes et ONG des pays arabes"

"Il est important de ne pas participer à l’amalgame qui laisse entendre qu’une association islamique est une couverture pour le financement du jihad", assure de son côté Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24. "Comme il est essentiel de différencier aujourd’hui la majorité des ONG européennes ou occidentales des ONG des pays arabes qui agissent parfois pour le compte de leur gouvernement [saoudien, qatari]", ajoute-t-il.

Idriss Sihamedi, le président de Barakacity, ne veut pas être le garant de toutes les ONG islamiques françaises. Mais il tient à ce que son association, dans le viseur des autorités, soit irréprochable, "claire comme de l’eau de roche". "Notre association pèse près de 8 millions d’euros. Elle vient en aide à tous les citoyens quelle que soit leur confession religieuse. Sur place, je ne fais pas appel aux bénévoles parce que je ne connais rien de leurs intentions. Je passe donc par des entreprises turques agréées pour acheminer les marchandises en Syrie", lâche-t-il, en colère. "Je ne devrais pas avoir à me justifier d’une faute que je n’ai pas commise. Mais je suis obligé de le faire. C’est vraiment rageant. Perle d’Espoir, c’est Perle d’Espoir, Barakacity, c’est Barakacity".