L'extrême violence de la dernière vidéo de l'organisation de l'État islamique, dans laquelle des jihadistes décapitent plusieurs otages, est le résultat d'une opération de communication minutieusement préparée. Décodage.
"L’EI n’a jamais été affilié à Al-Qaïda"
La vidéo de l’organisation de l'État islamique intitulée "N'en déplaise aux mécréants", à l’instar du dernier message audio connu de son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, commence par retracer l’évolution du groupe depuis ses débuts en Irak dans les jours suivant la chute de Bagdad en 2003 jusqu’à la proclamation de la restauration du califat le 29 juin dernier.
Derrière ce rappel historique se cachent la volonté à la fois de renforcer la légitimité de l’organisation dans la lutte contre "l’ordre mondial" mais aussi de réaffirmer son indépendance vis-à-vis d’Al-Qaïda. Un refus d’affiliation dont Ayman al-Zawahiri, successeur de Ben Laden, a lui-même pris acte dès 2007 dans un entretien avec al-Sahab, organe de propagande officiel d’Al-Qaïda.
L’expansion en Syrie aux dépens du Front al-Nosra
L’organisation a déjà évoqué en images son expansion depuis l’Irak vers la Syrie, mais rarement avec une telle volonté de réduire ces deux pays à une seule et même entité géographique. Le message, orchestré par al-Furqan, le relais médiatique de l’EI, est évidemment celui de la puissance des jihadistes d’al-Baghdadi, capables à eux seuls d’"effacer" une frontière coloniale vieille d’un siècle.
Le fait que le commentaire ne fasse pas une seule fois allusion au Front al-Nosra, officiellement adoubé par Al-Qaïda comme son représentant en Syrie, est éloquent. En effet, le Front al-Nosra a d’abord fait office de bras syrien de "l’État islamique en Irak". Tout change en avril 2013 quand l’entrée en scène de "l’État islamique en Irak et au Levant" (EIIL) provoque un schisme entre les deux groupes qui se traduira par des combats sanglants. Al-Nosra et EI restent aujourd’hui irréconciliables malgré les multiples rumeurs "d’union" ou de "coopération" qui sont, d’après nos sources au sein des deux formations, toutes "infondées". Ne pas citer nommément al-Nosra s’inscrit donc dans une stratégie claire de marginalisation du mouvement d’Abou Mohammed al-Joulani, considéré comme un "traître" par l’EI.
La Syrie et l’Irak comme un seul théâtre et la "guerre contre les chiites"
L’EI réaffirme à la fois son objectif de combattre les chiites en Syrie et en Irak et son ambition de conquérir Bagdad, ville associée à une grande symbolique en tant qu’ancienne capitale de l’empire musulman de l’ère abbâsside.
Endossant ce rôle de "pourfendeur de mécréants", l’EI se livre à une nouvelle mise en scène particulièrement macabre où plusieurs jihadistes, dont un Français identifié comme Maxime Hauchard, décapitent plusieurs pilotes de chasse syriens probablement capturés lors de l’offensive sur la base aérienne de Tabqa, près de Raqqa, cet été.
La mise en scène traduit une volonté manifeste d’endosser à visage découvert le rôle de "vengeur" de la population syrienne victime des bombardements opérés par ces mêmes pilotes ; mais elle se veut aussi un défi lancé aux pays d’origine de ces jihadistes. Dans cette internationale jihadiste qui ne connaît pas les frontières, l’uniformité des treillis militaires se veut la preuve que l’armée de l’EI est bien une force de type "étatique" en opposition avec les autres factions de type milice présentes sur le terrain.
Mais l’essentiel du message se trouve dans l’intention de mettre sur pied d’égalité pour la première fois un otage occidental et des captifs de l’armée syrienne. Le symbole est d’autant plus frappant que Peter Kassig, un ancien soldat américain, avait servi à Falloujah, ville irakienne emblématique de l’insurrection sunnite du milieu des années 2000. L’EI chercherait à démontrer par l’image que la coalition internationale est de facto du côté du régime syrien du président Bachar al-Assad.
Finalement, le lieu même du massacre n’est pas anodin. Dabiq, plaine située en Syrie au nord-est d’Alep, est mentionnée au début comme à la fin de la vidéo de propagande. Or c’est dans cette même plaine que, selon le Hadith (les paroles du prophète Mahomet telles que rapportées par Abou Hourayra), la "bataille finale entre les armées musulmanes et les armées romaines [occidentales] aura lieu". Avec cette ultime provocation, l’EI réitère son intention de se battre en attirant les soldats de la coalition vers une confrontation directe sur le terrain.