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La justice s'intéresse au patrimoine de trois dirigeants africains

Le pôle financier de Paris juge finalement recevable la plainte déposée contre les présidents congolais Denis Sassou Nguesso, gabonais Omar Bongo et équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema dans l'affaire dite des "biens mal acquis".

C’est une première en France. La juge du pôle financier de Paris, Françoise Desset, a jugé recevable la plainte de détournement de fonds publics déposée par une ONG et qui vise trois chefs d'Etats africains.

Denis Sassou Nguesso, président du Congo, Omar Bongo, président du Gabon, et Teodoro Obiang Nguema, président de la Guinée Equatoriale, sont soupçonnés de posséder à Paris et sur la côte d’Azur des biens immobiliers et mobiliers qui auraient été financés par de l'argent public détourné.

 


Daniel Lebègue, président de l'association Transparence international (TI) France, à l’origine de la plainte, s’est réjouit de cette décision qu’il n’a pas hésité à qualifier d’"historique".

L’ONG évalue la valeur totale des biens à 160 millions d'euros et affirme que les dirigeants posséderaient d'autres actifs en Suisse, aux Etats-Unis et peu-être en Espagne.

"Le fait que la justice ait réuni des preuves et établi des faits conduira un jour ou un autre à contraindre ceux qui ont détourné de l'argent public à le restituer aux populations auxquelles appartient cet argent, a déclaré Daniel Lebègue  à FRANCE 24. C'est ça notre but ultime."

Dans une ordonnance de recevabilité partielle, la juge Françoise Desset a estimé que la plainte avec constitution de partie civile déposée par TI France, spécialisée dans la lutte contre la corruption, était recevable - l'association ayant, selon son analyse, juridiquement un intérêt à agir.

Déposée le 2 décembre 2008, cette plainte concerne les chefs de recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de bien social, abus de confiance et complicités.

La magistrate a en revanche rejeté la constitution de partie civile de Gregory Ngbwa Mintsa, simple citoyen.

Hôtels particuliers et Limousines

Maître Patrick Maisonneuve, avocat de la République du Gabon, rappelle que "le fond n’est absolument pas abordé par la justice" et que le parquet de Paris peut faire appel de la décision de la magistrate. "Omar Bongo est président de la République du Gabon et, aujourd’hui, la justice française n’autorise pas les poursuites à l’égard du chef de l’État", poursuit l’avocat.

Le gouvernement congolais a de son côté affiché sa sérénité, indiquant que le dossier n'avait "rien de concret" sur le fond.

"Il y a là quelque chose de suspect, suspect de néocolonialisme," s’est étonné quant à lui maître Jean-Pierre Versini, avocat de Denis Sassou Nguesso, insistant sur le fait que les suspects sont des "chefs d’États de l’Afrique francophone".

Les deux principales cibles de la plainte sont Omar Bongo, au pouvoir depuis quarante ans, et Denis Sassou Nguesso, ainsi que leurs familles, propriétaires de nombreux biens immobiliers de luxe, selon les plaignants.

Pour Omar Bongo et sa famille, la plainte évoque la propriété d'un hôtel particulier et de quatre appartements, tous situés

dans le XVIe arrondissement de Paris.

Denis Sassou Nguesso possèderait, lui, un hôtel particulier de 700 m2, estimé entre 5 et 10 millions d'euros, dans les Yvelines, et un appartement dans le VIIe arrondissement de Paris. Plusieurs biens en région parisienne sont attribués à ses proches.

Leur entourage respectif disposerait également de nombreuses voitures de luxe, dont des Limousines.

Le parquet de Monaco a, de son côté, ordonné le 30 mars l'ouverture d'une enquête sur des comptes qui auraient été ouverts dans la principauté monégasque au nom d'Edith Bongo, l'épouse défunte du chef d'Etat gabonais. 

Enjeux diplomatiques

Depuis 2008, les démarches judiciaires à l’encontre des dirigeants africains ont pollué les relations entre la France et le Gabon, riche en pétrole, qui a fustigé "l'acharnement complice des médias français". Le gouvernement gabonais avait par ailleurs prévenu, au mois de mars, qu’il réexaminerait les accords de coopération entre les deux pays.

Le groupe français Total est le premier producteur de pétrole au Gabon et au Congo, mais n’est pas la seule entreprise hexagonale à avoir des intérêts dans ces anciennes colonies françaises.

En raison du possible "impact sur les relations" entre la France, le Gabon et le Congo, deux anciennes colonies de son "pré carré", Daniel Lebègue reconnaît que son ONG "informe" régulièrement les autorités françaises des grandes étapes de la procédure. "Il n'y a aucun signe d'encouragement, ni de dissuasion" de leur part", a-t-il assuré.