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Monnaie de l'EI : un symbole fort, mais une balle dans le pied

Le mouvement terroriste de l’État islamique a officialisé, jeudi, son intention de créer sa propre monnaie, qui serait utilisée dans les territoires contrôlés par l’organisation. Un symbole fort mais un projet difficile, voire impossible.

Le symbole est fort. L'organisation de l’État islamique (EI) a annoncé, jeudi 13 novembre, son intention de frapper sa propre monnaie faite de pièces d’or, d’argent et de cuivre d’ici trois semaines. Le groupe terroriste s’arroge ainsi l’une des prérogatives régaliennes traditionnelles - émettre son propre argent - de l’État nation, donnant un peu plus corps à sa grande ambition de créer un nouveau califat.

Ces nouvelles pièces rappellent, par leur dénomination, le temps des califes puisqu’il s’agira de dinar en or, de dirham en argent et de fills en cuivre. Cette initiative poursuit en outre un but idéologique. "Comme à l’époque des rois du Moyen-Âge, cela leur permettra de fixer arbitrairement la valeur des choses selon leur propre code moral, sans qu’il soit possible de faire des comparaisons internationales, puisque personne d’autre n’utilise cette monnaie et qu’il n’existera pas de taux de change”, explique Pascal de Lima, directeur de cabinet de conseil EcoCell et spécialiste du système financier.

Dépendance à l’or, à l’argent et au cuivre

L’EI assure en outre que cette nouvelle monnaie permettra de soustraire le territoire sous son contrôle en Irak et en Syrie au système financier international, jugé tyrannique parce qu'”imposé [par les Occidentaux, NDLR] aux musulmans”. Cette volonté de s’affranchir des règles internationales serait pourtant vaine : “Pour vraiment y parvenir, l’État islamique devrait créer une monnaie fiduciaire avec des billets plutôt que de l’or, de l’argent et du cuivre, qui sont trois matières premières dont le prix est aujourd’hui fixé par ces même marchés financiers”, rappelle Pascal de Lima.

La dépendance à ces métaux est d’ailleurs, d’après les experts contactés, l’une des raisons qui rendent le projet difficile, voire impossible à mettre en œuvre. "Pour fondre l’or, par exemple, l’EI devra en acheter sur le marché noir ce qui donne aux États-Unis et à leurs alliés un nouveau moyen de traquer les membres de ce groupe”, note Pascal de Lima. Sans compter que les prix de ces matières premières fluctuent et qu’en cas de hausse subite, la facture de l’État islamique pourrait très vite exploser.

Très chère usine à gaz administrative

Au-delà des aspects strictement monétaires, rien ne dit que l’EI dans sa forme actuelle soit capable de gérer les conséquences administratives et politiques qu’entraînent cette initiative. "Même l’Union soviétique n’a pas réussi [ce que l’État islamique ambitionne de faire], car cela nécessite une économie extrêmement centralisée et autoritaire”, souligne Pierre-Cyrille Hautcoeur, un spécialiste de l’histoire des institutions et marchés monétaires et financiers.

Il faudrait, en effet, mettre en place des contrôles à tous les niveaux qui seraient non seulement mal perçus par les populations locales, mais aussi très chers en ressources humaines et en infrastructures. L’État islamique devra, notamment, rendre les différentes frontières totalement étanches pour “éviter un coûteux trafic de ces pièces”, remarque Pierre-Cyrille Hautcoeur. La tentation pourrait, en effet, être grande d’aller échanger dans les pays voisins ces dinars en or contre des dollars ou d’autres devises.

Le risque de contrefaçon n’est pas non plus négligeable. Il est, en effet, plus facile de faire du faux or, ou du faux argent que des faux billets… “Qui s’assurera que le dinar est vraiment en or ?”, s’interroge Pierre-Cyrille Hautcoeur. À moins de mettre un policier à chaque coin de rue pour traquer d’éventuelles fausses pièces, la population risque rapidement de ne plus avoir confiance en cette nouvelle devise. Cette nouvelle monnaie est, donc, une porte ouverte à une inflation administrative, d’autant plus si l’EI réussit à conquérir de nouveaux territoires.

“Tout ce projet de nouvelle monnaie est en fait contre-productif au regard des objectifs de ce groupe”, conclut Pierre-Cyrille Hautcoeur. Ces pièces en or, argent et cuivre, loin de cimenter les fondements d’un nouveau califat risque de s’avérer ruineux pour le mouvement de l’État islamique.