
Alors que les combats se poursuivent à Kobané, à la frontière turco-syrienne, entre les jihadistes de l'EI et les Kurdes, les familles des combattants affichent toujours la même détermination malgré leurs pertes. Reportage.
Un reportage de : Alexander TURNBULL / Estelle Berivan VIGOUREUX / Roméo LANGLOIS / Sadek Abou HAMED
Tous les jours, à la morgue de Sanliufa, dans le sud de la Turquie, on assiste aux mêmes scènes de douleurs : des familles kurdes attendent les corps de leurs proches, tombés à Kobané, les armes à la main. Depuis plus d'un mois, l'enclave, troisième ville kurde de Syrie, est assiégée par les jihadistes de l'organisation de l'État islamique.
Ce jeudi 30 octobre, quatre jeunes repartent dans des cercueils. Ces Kurdes de Turquie étaient venus combattre les jihadistes aux côtés des Kurdes de Syrie. Tous étaient des sympathisants du PKK, branche armée des séparatistes kurdes considérée comme organisation terroriste en Turquie. Parmi eux, la jeune Hulia Kesser. Elle avait 25 ans.
"Nous avons offert notre fille au Kurdistan, au peuple kurde, à notre leader, affirme Zudyeir Kesser, l’oncle de la jeune combattante. Elle n’est pas notre martyr, elle est le martyr de tous. Quand elle est entrée dans le parti, elle a cessé d’être notre enfant pour devenir celui du parti."
Alors que les dépouilles seront rapatriées vers leurs villes d’origine, dans les régions kurdes de Turquie, de nombreux Kurdes sont convaincus qu’Ankara fait preuve de complaisance envers l’organisation de l'État islamique. L’oncle de la jeune femme, Mashala, porte ainsi des accusations précises, mais impossibles à vérifier.
"Ce matin, de bonne heure, je suis allé à la frontière de Kobané pour récupérer notre martyr. On était une vingtaine de personnes. On a vu de nos propres yeux les bonnes relations entre Daech [autre nom pour qualifier l'EI, NDLR] et l’État turc. Ils étaient en train de donner à l’État islamique des caisses d’armes ou des munitions, des boissons, des bombes", affirme-t-il.
"L’ennemi ne doit pas croire qu’on a peur"
Les Kurdes de Syrie, qui combattent eux aussi à Kobané, trouvent leur dernière demeure à Suruç, côté turc, à quelques kilomètres de la frontière. De nouvelles tombes y sont creusées tous les jours, aux côtés des réfugiés de Kobané qui, avec anxiété, regardent leur ville brûler.
Non loin de là, dans des maisons surpeuplées, des femmes pleurent leurs morts. Mervan, 25 ans, était travailleur saisonnier. Dès les premières agressions des jihadistes, il avait pris les armes.
"Il m’a dit ‘s’il le faut je mourrai en martyr’, alors je lui ai souhaité bonne chance, raconte Bedriye, sa mère. Je lui ai aussi dit : ‘si tu dois mourir pour l’honneur de notre peuple et de notre terre, alors que Dieu t’accompagne’."
Malgré les risques, toutes les nuits, des Kurdes de Syrie, de Turquie et d’ailleurs entrent clandestinement à Kobané pour défendre la ville. Le frère de la victime, Hussein, souhaite d’ailleurs repartir au front.
"Je suis prêt à repartir à Kobané, lance-t-il. L’ennemi ne doit pas croire qu’on a peur, qu’on est triste, qu’on perd le moral. Au contraire. À chaque nouveau martyr, on sait que c’est la liberté qui approche."
Au total, quelque 400 Kurdes ont déjà perdu la vie dans cette bataille. Mais peu importe, chaque nouvelle mort renforce la détermination des autres combattants.