Alors qu'un premier cas de contamination du virus Ebola a été détecté en Europe, l'inquiétude grandit. Le professeur Pialoux, spécialiste des maladies infectieuses, met en garde toute contre psychose.
Depuis le mois de mars, selon l'Organisation mondiale de la santé, l'épidémie de fièvre Ebola, la plus meurtrière depuis la découverte du virus en 1976, a tué plus de 3 400 personnes et en a infecté 7 200, dans trois pays essentiellement : le Liberia (2 069 morts), la Guinée (739 morts) et la Sierra Leone (623 morts).
Le premier cas connu d’une personne contaminée hors d’Afrique a été détecté en Espagne où une aide-soignante a contracté le virus. En France, des parents ont refusé d’emmener leurs enfants à l’école alors qu’ils soupçonnaient un élève d’être lui aussi contaminé. Face à ce début de psychose, le professeur Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Tenon de Paris, se montre rassurant. Pour lui, la France va probablement faire face à des cas de virus Ebola sur son territoire, mais les autorités sont prêtes à endiguer tout risque d’épidémie.
France 24 : Une étude de l’Université britannique de Lancaster estime à 75 % le risque de voir le virus Ebola atteindre la France d'ici une vingtaine de jours. Ces prévisions sont-elle crédibles ?
Professeur Gilles Pialoux : La France est déjà impactée par le virus Ebola : une infirmière de Médecins sans frontières a été soignée à l’hôpital Bégin et en est sortie. C’est le premier point. Le deuxième, c’est qu’on se moque un peu de ce taux de probabilité. Il ne conditionne pas les attitudes sanitaires, les procédures, ou encore la graduation des services hospitaliers. Les procédures doivent s’appliquer, peu importe si on a 20 % ou 75 % de risques d’être touché.
Ce qui est vrai, c’est que la France va être forcément touchée compte tenu de son histoire et du fait que l’épidémie va déborder inexorablement des frontières des principaux pays concernés, le Liberia, le Nigeria et la Guinée-Conakry. Elle va s’étendre aux pays limitrophes qui ont une longue histoire d’échanges et de migrations avec la France. Je pense au Mali, au Sénégal ou la Côte d’Ivoire. La France est davantage en première ligne que la Grande-Bretagne, l’Espagne ou l’Italie, de par son passé colonial et ses liens avec ces pays francophones.
L’Espagne connaît sa premère contamination par le virus Ebola avec le cas d’une aide-soignante d’un hôpital de Madrid. La France est-elle prête à faire face à ce genre de situation ?
Il ne faut pas faire l’amalgame avec la problématique espagnole. Ce sont vraiment deux choses différentes. Dans le cas de l'Espagne, le pays était préparé, mais vraisemblablement, il y a eu un manquement et une erreur humaine. Il s’agit d’une aide-soignante qui, normalement, n’a pas à rentrer dans la chambre. Vous vous rendez compte si on faisait entrer les étudiants et les stagiaires ! C’est très clairement écrit dans la procédure : un nombre limité de gens est autorisé à entrer dans la pièce où est hospitalisé un malade atteint d'Ebola. C’est en général, un binôme infirmier-médecin.
Pour ce qui concerne la France, oui, elle est prête. Elle a des procédures extrêmement bien définies. Mais par définition, même si on est le pays de la médecine préventive et de la veille sanitaire, il y a toujours le cas qui n’est pas prévu. Cela peut être une erreur d’aiguillage du patient. Par exemple, s’il s’agit de quelqu’un qui a pris le taxi brousse de Guinée-Conakry à Dakar et qui part ensuite en France, on pense qu’il arrive du Sénégal, qui n’est pas considéré comme une zone à risque. C’est ce qui s’est d’ailleurs passé à Dallas. Le patient a eu le temps de se balader partout avant qu’on n'établisse le diagnostic. Un patient peut aussi ne pas déclarer d’où il vient et ce qu’il a fait en Afrique. C’est très compliqué car c’est une maladie de questionnements. L’interrogatoire est très important. Oui, la France est prête, mais il y a toujours un risque.
Il y a eu un début de psychose dans une école de Boulogne-Billancourt, en banlieue parisienne, en raison de la présence d'un élève récemment rentré de Guinée. Des parents ont estimé que cet enfant n’aurait pas dû être scolarisé avant la fin de la période d’incubation du virus. L’élève aurait-il dû être mis en quarantaine ?
Non, car le fait d’être un cas suspect ne découle pas simplement du fait de revenir de Guinée-Conakry. Il faut revenir de Guinée-Conakry, présenter une fièvre et avoir été exposé. On peut imaginer que les parents de cet enfant ont été interrogés sur les conditions de son voyage. Et puis, surtout pour le virus Ebola, la période d’incubation, qui va de deux à 21 jours, n’est pas une période de contagion. Il n’y a pas de raison de mettre en quarantaine des gens qui sont asymptomatiques et qui n’ont été exposés au virus. Je pense que cette situation fait paniquer les gens.
Pour résumer, il n’y a pas donc pas d’inquiétude particulière à avoir à l’heure actuelle en France ?
Dans le monde, cette épidémie provoque une vraie inquiétude, elle va probablement toucher 20 000 personnes d'ici la fin du mois de novembre. Pour la France, il y a aussi une inquiétude sur la probabilité que des cas ne soient pas détectés précocement, au moment de leur arrivée sur notre territoire. Mais on sait gérer ces problèmes de veille sanitaire à retardement. Il n’y a pas à avoir peur !
Il faut plutôt se méfier de l'effet secondaire que ces inquiétudes provoquent. Elles sont très stigmatisantes pour les populations concernées. Les gens vont avoir de plus en plus de mal à dire librement qu’ils reviennent de Guinée-Conakry, du Liberia ou du Nigeria. Plus il y a de pression sur ces personnes, plus elles vont fuir ce type de stigmatisation. Mais, non, il n’y aura pas d’épidémie en France. Il y aura des cas importés.