
L’Iran n’a pas été officiellement convié à intégrer la coalition contre l’État Islamique, en particulier à cause de l'opposition des États-Unis. Pourtant, en Irak, sur le terrain, la donne est toute autre. Décryptage.
La photo de famille aurait été aussi symbolique que porteuse d’espoir. L’occasion était trop belle, à l’heure où la communauté internationale se réunissait, le 15 septembre à Paris, pour la conférence internationale sur la sécurité en Irak, de voir les Américains, les Européens, les monarchies du Golfe et les Iraniens côte à côte au nom de la lutte contre l’organisation de l’État islamique (EI).
Mais finalement l'Iran n'a pas été convié à cette grand-messe diplomatique. Si le chef de la diplomatie américaine John Kerry avait jugé que sa participation "ne serait pas adéquate", en raison de son soutien actif au régime syrien, les Occidentaux voulaient surtout éviter de froisser leurs alliés sunnites, caution religieuse de la coalition. "Nous voulions un consensus autour de la question de la participation de l'Iran mais à la fin il était plus important d'avoir certains pays arabes que l'Iran", a indiqué un haut diplomate français à l’agence Reuters.
Du côté iranien, on a raillé une conférence qui se tient sans Téhéran et Damas "qui se battent déjà contre les jihadistes". On a également affirmé que les Américains ont bel et bien sollicité la coopération de Téhéran dans la lutte contre l’EI. "J'ai refusé car ils ont les mains souillées", a écrit le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, sur son site. "Notre refus de coopérer avec les États-Unis contre l’EI est dû au fait qu’ils sont eux-mêmes impliqués dans la création et l’expansion du terrorisme".
La déclaration de la plus haute autorité du pays, fidèle à la rhétorique anti-américaine habituelle du régime, a été accompagnée d’une mise au point de Washington. Les États-Unis ne se coordonneront pas "militairement" avec l'Iran pour lutter contre l'EI, mais restent ouverts à une poursuite d'une "discussion diplomatique" sur le sujet, a répliqué le département d'État.
Une collaboration indirecte déjà en cours
Les communiqués diplomatiques ont beau se succéder, la réalité du terrain, elle, est tout autre tant les intérêts de ces deux puissances convergent sur la question de l’EI. Washington et Téhéran le savent, leur collaboration en Irak contre les jihadistes, même si elle reste indirecte, est déjà en cours. Le 31 août, à la suite de raids aériens américains, l'armée irakienne et des milices chiites étroitement liées à l’Iran, avaient forcé le siège d'Amerli, une ville du nord de l'Irak assiégée par les jihadistes de l’EI.
"Les Américains ont envoyé des conseillers en Irak pour aider l’armée irakienne et les Iraniens ont fait de même, on peut donc supposer qu’ils échangent des informations ou qu’ils se parlent de manière indirecte, car après tout, ils sont dans le même camp et luttent côte à côte contre l’EI", explique à France 24 Thierry Coville, chercheur à l’Iris et spécialiste de l’Iran. Et d’ajouter : "Les Iraniens sont pragmatiques, ils ne peuvent laisser à leurs frontières un groupe qui a un agenda carrément anti-chiite, ils sont d’accord, sans le dire trop ouvertement, pour que les États-Unis bombardent les jihadistes".
Politiquement aussi, Américains et Iraniens sont sur la même longueur d’onde. "Quand on voit que l’Iran a contribué à l’éviction du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, également réclamée par les Américains, cela représente un geste non-négligeable de coopération et d’implication dans cette crise régionale", indique Karim Sader, politologue et consultant spécialisé dans les pays du Golfe.
Pour l’Iran, l’EI est une création de Washington
Sauf que pour des raisons politiques, il est impossible d’officialiser l’inavouable et au final, la non-participation de l’Iran dans la coalition arrange toutes les parties. "L’Iran est déjà en phase de coopération avec l’Occident, c’est évident, mais il est trop tôt pour l’officialiser, notamment pour éviter de contrarier l’Arabie Saoudite", juge Karim Sader. Outre les susceptibilités des monarchies sunnites, on évite également d’exacerber les tensions sunnito-chiites déjà très fortes dans la région. D’un autre côté, le régime iranien sauve la face en refusant de se ranger dans le camp du président Obama, et surtout, il évite de se battre sous la bannière et le commandement militaire de ce qui a toujours été présenté aux Iraniens comme le "Grand Satan".
D’autant plus que l’opinion publique iranienne semble être convaincue, à l’instar des dirigeants du pays, que les États-Unis sont à l’origine de la création de l’EI. Car les mollahs continuent de redouterque Washington n’ait jamais renoncé à renverser la République islamique. Ce que confirme un responsable iranien interrogé par le site "Al-Monitor", spécialisé dans les questions moyen-orientales. "L’Iran ne fait pas confiance aux États-Unis, c’est quelque chose que notre leader avait dit auparavant, et aujourd’hui tous nos commandants sont d’accord : les États-Unis ne peuvent être l’allié de l’Iran, et l’Iran ne peut se battre sous le commandement des Américains - c’est pourquoi nous continuerons à mener notre guerre à notre façon".
Pour les experts, cette coopération de fait risque de se limiter à l’Irak car les intérêts divergeront dès qu’il s’agira de combattre l’EI sur le terrain syrien, comme l’a annoncé le président Obama. En effet, le contexte irakien n’a rien à voir avec la Syrie, où l’Iran tente, depuis le début de la crise en 2011, de maintenir son allié Bachar al-Assad au pouvoir.
Or Washington a affirmé vouloir frapper l’EI et soutenir les rebelles modérés qui se battent contre l’armée du régime. De son côté Téhéran a mis en garde contre tout bombardement sur le territoire de son protégé. À moins d’envisager une solution à l’Irakienne, c'est-à-dire obtenir le départ d’Assad et de former un gouvernement inclusif. Un scénario pour l’instant inimaginable tant à Damas qu’à Téhéran.