Visa pour l’image consacre l'exposition "Amateurs à la Une" aux 30 images "qui n’ont pas changé le photojournalisme". Un constat rassurant pour les professionnels mais réducteur pour le public.
Le 26e festival Visa pour l’image, bastion du photojournalisme professionnel, met les images amateur à la Une. Non sans provocation.
A travers une trentaine de photos, l’exposition éponyme convoque les clichés ayant illustré les évènements parmi les plus marquants de ces dernières années. Tout commence avec une photo de Jacqueline Kennedy quelques secondes après le tir mortel contre son mari, à Dallas en 1963 et se termine sur la capture d’écran de la vidéo-surveillance du Musée juif de Bruxelles où apparaît Mehdi Nemmouche en 2014.
Entre l’un et l’autre se succèdent, par ordre chronologique, les images de catastrophes naturelles (tsunamis), de dictateurs dans les minutes précédant (pour Saddam Hussein) ou suivant (pour Mouammar Khadafi) leur mort, du scandale des photos de prisonniers d’Abou Ghraib (2003), d’exactions terroristes (passagers cherchant à fuir dans les tunnels de métro lors des attentats de Londres en 2005)… Leur unique point commun : aucune n’a été prise par un photographe professionnel.
30 images "qui n’ont pas changé le photojournalisme"
Pourtant, aussi iconiques qu’elles soient, ces trente images "n’ont pas changé le photojournalisme" affirment Samuel Bollendorf, photographe et lauréat du Visa d’or RFI-France 24 du meilleur webdoc) et André Gunthert, chercheur en culture visuelle à l’EHESS, les deux commissaires de l’exposition. Une affirmation qui, dans le cadre d’un festival qui s’acharne à défendre le rôle des photojournalistes, se veut rassurante.
"Ce n’était pas la diffusion des smartphones qui rendait les amateurs menaçants, mais la croyance dans l’émergence d’un univers médiatique alternatif", conclut André Gunthert. Ce qui n’a pas eu lieu. Autrement dit, plus de peur que de mal.
Mais dans un festival qui donne également large et libre accès aux non-professionnels, l’exposition rate un peu sa cible. La majorité des visiteurs interrogés n’y ont vu que le catalogue des événements clés des 20 dernières années sans faire grand cas de la distinction ontologique entre l’origine amateur et professionnelle.
la photo amateur, un fourre-tout
Sauf que cette approche, par la simple question du volume, évacue celle de la qualité de la photo. L’image amateur se définirait donc uniquement parce qu’elle est "non-professionnelle". Un parti pris qui fait du concept d’amateur un véritable fourre-tout mettant sur le même plan témoignage et propagande.
Quoi de commun en effet entre l’image extraite d’une vidéo de revendication de décapitation de l’otage américain Nicholas Berg par Al-Qaïda en 2004 et la photo d’un corps sans vie dans le stade de Conakry (Guinée) prise par Fode Kouyate, un membre du réseau des Observateurs de France 24, témoin du massacre de septembre 2009 ?
Une image sort du lot par les interrogations que suscite sa non-utilisation : celle du corps tuméfié de Darius, le jeune Rom lynché en juin dernier à Pierrefitte-sur-Seine, recroquevillé dans un chariot. Cette photo, prise par un "voisin", n’ayant pas été publiée par la presse française, est remplacée par un panneau portant la mention "La publication de cette image est interdite en France".
La note explicative qui l’accompagne souligne que la décision de ne pas publier l’image découle d’un débat éditorial entre son intérêt journalistique, sa monstruosité et l’illégalité de sa diffusion. "Une discussion finalement classique autour de la publication d’un document, concluent les commissaires. La question du statut de cette image restant tout simplement hors-sujet."
Dont acte. La photo amateur n’a pas été le raz-de-marée annoncé mais, grâce à l’explosion des réseaux sociaux, elle continue à gagner du terrain. Et plus elle s’impose, plus la question de son origine doit être posée. On aurait aimé que l’exposition nous y invite plus clairement.
La 26e édition du Festival Visa pour l’Image se déroule à Perpignan jusqu’au 14 septembre.