
Diffusée outre-Rhin mardi, la "love story" fictive entre une chancelière allemande et un président français a déçu la critique. Autrefois tabou, l’intimité des politiques constitue aujourd’hui un terreau romanesque pour la télévision. Tour d’horizon.
N’en déplaise aux amateurs de potins politiques, le téléfilm "Die Staatsaffäre" ("Une affaire d’État"), diffusé dans la soirée de mardi 3 septembre sur la chaîne de télévision allemande Sat.1, ne se base sur aucun fait réel. Contrairement à ce que raconte cette œuvre de fiction, aucune chancelière allemande n’a entretenu une quelconque idylle avec un président français. C’est donc bien le fruit d’une imagination fertile que les téléspectateurs allemands ont découvert mardi sur leur écran.
De fait, les scénaristes de "Die Staatsaffäre" avaient pris soin de dissiper préalablement tout malentendu. Rien, hormis leur fonction, ne permet en effet de rapprocher les personnages du téléfilm à Angela Merkel et François Hollande (ou à leurs prédécesseurs). Anna Bremer, notre chancelière de fiction (interprétée par Veronica Ferres, une vedette de la télé allemande) est blonde, svelte et, qui plus est, de gauche ; Guy Dupont, notre président français (Philippe Caroit) a les yeux bleus, la chevelure poivre et sel, et des électeurs de droite.
"Absurde", "léger" et "drôle… à son insu"
L'histoire en est elle-même est abracadabrantesque. Vingt-cinq ans après avoir partagé dans leur prime jeunesse une nuit d’amour passionnée, la chancelière, célibataire, et le charismatique président français vont profiter d’un sommet international pour raviver la flamme d’antan. Devenu amants, les deux dirigeants s’écharpent la journée sur la question du nucléaire civil et se câlinent le soir dans la chambre à coucher. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut donc être que fortuite…
Il n’empêche, en ces temps de crispation budgétaire entre Paris et Berlin, voir un chef de l’État français préparer le petit déjeuner à sa chancelière de compagne ne manque pas de sel. Las, à en croire la presse allemande, ce qui aurait pu être une acerbe farce politique n’est qu’une légère et inoffensive comédie romantique. "Un scénario absurde n'est pas forcément négatif pour un film, cela aurait même pu donner une satire convaincante de la classe politique ou encore une comédie romantique dans un contexte inattendu, mais la mise en scène de Michael Rowitz [le réalisateur] ne parvient pas à se décider entre les deux genres", écrit le magazine "Der Spiegel".
"C’est agréablement léger, même si le script est parfois un peu exagéré”, juge, clément, le "Frankfurter Rundschau". Plus sévère, l'hebdomadaire "Stern" décrit le film comme "un conte kitsch inoffensif" qui, "avec du popcorn [...] et une bonne dose d'ironie" s’avère "une perte de temps tout à fait amusante". “C’est une série souvent drôle… à son insu”, moque de son côté "Die Zeit".
Pas toujours l'État de grâce
Ce n’est pas la première fois que la télévision se risque à mettre en scène la vie privée de dirigeants politiques fictifs. Longtemps restée tabou, particulièrement en France, l’intimité des responsables politiques offre aujourd’hui un terreau romanesque pour les scénaristes de télévision.
Dans l’Hexagone, France 2 fut l’une des premières chaînes à sauter le pas en diffusant, à l’automne 2006, "L’État de Grace". Dans le sillage de l’américaine "Commander in Chief" (avec Geena Davis), cette mini-série mettait en scène l’accession d’une femme (Anne Consigny) à l’Élysée. Plus que les arcanes du pouvoir, c’est la face privée de la chef de l’État français que les six épisodes s’attachaient à explorer. Révolutionnaire sur le papier, le feuilleton avait été jugé "caricatural" lors de sa diffusion, cantonnant quasi systématiquement l’héroïne - enceinte - à des problématiques d’ordre familial. Alors qu’à cette époque Ségolène Royal briguait la présidence, de nombreux commentateurs se demandèrent alors si la France était vraiment prête à élire une femme à sa tête…
Sérieux, cynisme ou humour trash
Érigée en référence du genre, la très sérieuse et documentée "À la Maison Blanche" d'Aaron Sorkin avait déjà familiarisé les téléspectateurs américains avec les coulisses du pouvoir. Diffusée dès 1999, la série a suivi durant six saisons le quotidien d’un président démocrate nommé Josiah Bartlet (Martin Sheen). Principalement centrée sur des questions politiques et sociétales, cette chronique du pouvoir s’intéressait autant au chef de l’État qu’à l’homme. Notamment dans son combat contre la sclérose en plaque, maladie qui constitue l’un des principaux ressorts dramatiques de la série.
Depuis la fin de "À la Maison Blanche", seul "House of Cards", produit par David Fincher, semble sonder d'aussi près l'intimité des hommes et femmes qui peuplent Washington. La série lancée en 2013 par Netflix doit son succès à l'ambition crasse du couple Underwood (Kevin Spacey et Robin Wright), qui exerce son cynisme aussi bien dans la Chambre des répresentants que dans les alcôves.
Dans un tout autre registre, "Veep" traite l’exercice du pouvoir par l’absurde. Actuellement entrée dans sa troisième saison, la série a pour héroïne une sénatrice aux dents longues (Julia Louis-Dreyfus) propulsée, un peu par défaut, à la vice-présidence des États-Unis. Coups tordus, gaffes, grosses colères et langage fleuri… La numéro deux de la Maison Blanche, en plus d’être une responsable politique inutile et sans scrupule, se révèle une mère et épouse peu exemplaire.
Beaucoup moins fantaisiste, le feuilleton danois "Borgen" retrace la conquête et l’exercice du pouvoir d’une leader centriste (Babett Knudsen). Succès autant critique que public, les trois saisons de cette fresque politique tirent leur force du mélange subtil entre vie publique et intime. La Première ministre du Danemark a beau frayer avec les plus puissants dirigeants de la planète, elle peine à faire face à la dépression de sa fille, encore perturbée par le divorce de ses parents. Un élément narratif qui permet aux téléspectateurs de s’identifier plus aisément au personnage.
Reste que, parfois, la réalité semble plus romanesque que la fiction. Auteur d’un ouvrage controversé à paraître ce jeudi, dans lequel elle raconte de l’intérieur les premiers pas de François Hollande à la présidence, l’ancienne première dame de France, Valérie Trierweiler, va peut-être devenir, malgré elle, la source d’inspiration de scénaristes en mal d’histoires croustillantes.