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Le ministre des Finances Michel Sapin veut un “rééquilibrage” de l'usage entre dollar et euro dans le commerce international, rapporte le “Financial Times”. Une réaction épidermique à la suite de l'affaire de la BNP ?

La pilule de l’amende historique infligée à la BNP a décidément du mal à passer en France. Plusieurs responsables politiques et économiques ont souligné leur volonté de mettre un terme à l’hégémonie du dollar dans les transactions et le commerce international. “Un rééquilibrage est non seulement possible mais aussi nécessaire, non seulement à l’égard de l’euro mais aussi des devises de certains pays émergents”, a ainsi assuré au "Financial Times" Michel Sapin, le ministre des Finances français,  dimanche 6 juillet.

Même son de cloche chez Christophe de Margerie, le PDG de Total, qui ne voit pas de raison de payer tous les achats de pétrole en dollars. Un autre patron français, cité par le "Financial Times" mais qui a préféré garder l’anonymat, se plaint aussi “d’être coincé car on vend beaucoup en dollars, mais nous n’avons pas toujours envie de nous plier aux règles et lois américaines”.

87 % des transactions internationales en dollars

Car c’est bien cette extension du domaine de la "Lex Americana", via son dollar, qui pose problème aux Français. Si la BNP n’avait pas utilisé le billet vert lors de ces petites affaires avec le Soudan, l’Iran et Cuba, elle aurait échappé à l'amende record.

Mais la banque française avait-elle réellement le choix ? Le dollar est utilisé dans 87 % des transactions internationales en devises d’après le rapport 2013 de la Banque des règlements internationaux (BRI). Tout le monde lui fait confiance, et c’est la monnaie de réserve par excellence utilisée dans les échanges internationaux depuis des années. La part de l’euro, quant à elle, est en baisse.

“Avant l’affaire de la BNP, les Français ne semblaient pas vraiment s’émouvoir de cette hégémonie”, rappelle Céline Antonin, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il faut dire que le billet vert a, sur la scène internationale, des avantages non négligeables, qui sont autant de handicaps pour les autres monnaies, dont l’euro.

D’abord, il est moins cher à utiliser. “Les coûts de transaction, c’est-à-dire les primes pour payer en dollars, sont moins élevées que pour l’euro ou la plupart des autres devises”, explique Céline Antonin. Les États-Unis bénéficient, en outre, d’une sorte de prime au sortant, d’après cette spécialiste. Leur monnaie a fait ses preuves, et tant qu’il n’y aura pas de devise présentant les mêmes avantages, la situation ne risque guère d’évoluer.

La faute à la crise et aux politiques

Pour que l’euro ait une chance, il faudrait déjà que l’économie de l’Union européenne se porte mieux. “Le différentiel de croissance joue en faveur des États-Unis, car plus un pays est prospère plus les partenaires commerciaux ont envie d’en détenir les devises”, souligne Céline Antonin.

Mais même si la croissance tournait à plein régime sur le Vieux continent, l’euro part, de toute façon, avec un autre handicap, plus politique. “C’est aussi une question de gouvernance politique. Le partage des responsabilités monétaires en Europe, entre l’Écofin [conseil pour les affaires économiques et financières de l’UE, ndlr] et la Banque centrale est moins clair qu’aux États-Unis”, résume Céline Antonin. Pour elle, l’euro ne pourra sérieusement menacer l’hégémonie du dollar qu’une fois que tous les pays européens se seront mis d’accord sur un cap monétaire commun. Vu les débats sans fin qui agitent la zone euro sur les avantages d’une monnaie forte ou faible, ce n’est pas demain la veille. Sans compter qu’à part les Français, échaudés par les mésaventures de leur banque, aucun autre État européen ne s’est, pour l’instant, élevé officiellement contre la place du dollar dans les transactions internationales.

“L’Europe ne considère pas, comme les États-Unis, que sa monnaie pourrait servir d’arme politique. C’est, en partie, pourquoi la Banque centrale n’a pour rôle que la lutte contre l’inflation”, note Céline Antonin. Pour elle, les États-Unis peuvent encore dormir tranquillement sur leurs deux oreilles quelques années et continuer à “utiliser le privilège exorbitant que leur procure leur dollar pour imposer leurs règles aux autres pays”.