Si la paix ne peut se faire "par en haut", peut-elle au moins se faire "par en bas", par l'amélioration de la vie quotidienne des populations qui partagent des intérêts communs? L’expérience montre que la politique garde toujours le dernier mot.
Depuis l'enlèvement de trois adolescents israéliens dans les territoires palestiniens, la confiance entre le gouvernement Israéliens et l'Autorité palestinienne connaît un nouveau "plus bas". Le kidnapping n'a toujours pas été revendiqué mais Benyamin Netanyahou l'a attribué au Hamas, mais comme le mouvement islamiste a rejoint le gouvernement de "réconciliation", le premier ministre israélien tient Mahmoud Abbas pour responsable du sort des gamins.
Pourtant, plusieurs ministres israéliens, palestiniens et jordaniens, notamment ceux de l'eau et de l'environnement, ont accepté de se retrouver autour d'une même table, vendredi 20 juin à Paris, pour une rencontre organisée par le Forum International de la Paix. Ici, il ne devait être question ni des frontières futures des deux États, ni des réfugiés, ni du statut de Jerusalem, ni du "caractère juif" d'Israël, ou même des prisonniers, bref d’aucun de ces obstacles qui se dressent depuis des lustres sur le chemin de la paix. L'accent devait être mis par conte sur la coopération régionale sur des questions de vie quotidienne qui empoisonnent ( au sens propre) les habitants musulmans, chrétiens ou juifs de la région.
Parmi celles-ci, il n'en est pas de plus emblématiques que celle de l'eau.
Désastre écologique
Il y a tout d'abord la question de la désalinisation de l’eau de mer à Gaza. Le ministre de l’environnement palestinien a de nouveau imploré Israël de fournir aux territoires les 3 Mégawatts d’électricité nécessaire à cette entreprise. Peine perdue, car Gaza est aux mains du Hamas qui ne reconnaît pas Israël et poursuit ses tirs de roquettes.
Il y a ensuite le dossier de la vallée du Kidron, où coule le "Wadi el Nar", comme le nomment les Palestiniens, une rivière d’une exceptionnelle beauté qui traverse le désert de Judée. Jadis, elle apportait de l'eau pure aux habitants. Les conséquences de l'explosion démographique et du conflit politique se sont conjuguées en un désastre écologique qui frappe avec une égale dureté israéliens, palestiniens et jordaniens. Quinze millions de m3 d'eaux usées s'ont déversés dans la rivière chaque année, transformant ce torrent d'eau claire en un égout répugnant et nauséabond. Pour parer au désastre, il faudrait construire plusieurs stations d’épuration. Un projet existe, il est entièrement financé par l’Union Européenne à auteur d’un milliard d’euros.
Vendredi, le maire palestinien d’Ubiedyah, une des plus importantes localité de la vallée, et le gouverneur israélien du Kidron étaient assis côte à côte dans la salle Clémenceau du Sénat français et tenaient en gros le même discours : cette situation qui pourrit la vie de tous les habitants, compromet le développement agricole et touristique n'a que trop duré. "Nous ne nous demandons pas ce que la paix pourrait faire pour nous, mais plutôt ce que nous pouvons faire pour la paix".
Pas touche à mes égouts !
Ce dossier écologique et économique est devenu un cauchemar politique, et le projet d’assainissement est dans l’impasse : le Kidron prend sa source à Jerusalem-Est (dans la partie arabe), traverse les territoires palestiniens (sous administration israélienne, palestinienne et mixte) et se jette dans la Mer Morte.
Les Palestiniens considèrent que c'est " leur" problème, bien que les habitants israéliens de la Cisjordannie ne soient pas les derniers à le polluer". Les Israéliens, quant à eux, pourraient laisser les Palestiniens s’en occuper, prétextant qu’ils sont "à la source" du problème. Mais ayant annexé Jérusalem et contrôlant encore la majeure partie du territoire, ils en revendiquent la responsabilité. Pour tous c’est un même cri : "pas touche à mes égouts !".
La tâche pourrait-elle être conifée à une instance internationale ? Autant ne pas y penser, les Israéliens étant hostiles à toute "ingérence" internationale dans leurs affaires avec l’Autorité Palestinienne
La réunion de Paris avait donc pour but de faire avancer ce dossier, avec la présence de nombreux experts internationaux, des représentants de l’Union pour la Méditerranée, de l’Ambassade de l’Eau, dont la représentante française (d’origine libanaise) a supplié les protagonistes de ne "pas mélanger la politique avec l’eau".
Tribune politique
C’était sans compter avec l’actualité récente qui a fait sortir ce programme de ses rails. L’opinion israélienne est choquée par l’enlèvement des trois jeunes étudiants, et les deux ministres israéliens qui s’exprimaient, ceux de l’environnement (Amir Peretz) et de la coopération régionale (Silvan Shalom), n’ont pas résisté à la tentation de transformer la salle du Sénat en tribune politique. Ce dernier a en particulier consacré l’essentiel de son intervention à expliquer que les multiples projets de coopération israélo-palestinienne n’avanceraient pas tant que les enfants ne seraient pas rendus à leur famille, et même tant que les roquettes de Gaza continueraient de tomber sur le sud d’Israël.
C’en était trop pour la délégation palestinienne qui a quitté la salle en s’exclamant "hors sujet". Il faut dire que depuis l’enlèvement, deux jeunes palestiniens ont été tués lors d’affrontement avec l’armée israélienne et plusieurs centaines de palestiniens, souvent des anciens prisonniers libérés lors de l’échange avec Gilad Shalit, ont été arrêtés. Les palestiniens considèrent qu’eux aussi sont des "otages".
Les israéliens ont tiré les premières salves, mais les Palestiniens adoptent eux aussi une logique similaire. Même quand la tension politique ne décroît pas et que le processus de paix est à l’arrêt, est-il vraiment impossible de régler les problèmes des habitants, puisque l’argent est là et qu’au niveau local il existe la même bonne volonté de travailler en commun ? Selon Munib Masri, le président de la plus grande entreprise palestinienne, Padico, et probablement l’homme le plus riche de Palestine, les choses ne sont pas si simples : "Il ne saurait y avoir de développement économique sans un règlement politique préalable".
Dans ces conditions, la sage prescription de l’ancien ministre jordanien des affaires étrangères Abdelilah El Khatib, "Il nous faut connecter l’eau, la sécurité et la politique", est condamnée à rester lettre morte. Les habitants du Kidron devront encore attendre l’eau claire.