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Face à l'avancée djihadiste, les Kurdes irakiens tirent leur épingle du jeu

Depuis la prise de Mossoul par les djihadistes de l’EIIL, le Kurdistan voisin est sur le qui-vive. La région autonome espère revenir dans le jeu irakien en aidant à stopper l'avancée des extrémistes sunnites dans le pays.

Ils se rapprochent de la ville irakienne de Kirkouk. Après s’être emparé de Mossoul, le chef-lieu de la province de Ninive, mardi 10 juin, les djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) continuent leur incursion au nord de l’Irak en avançant dans les provinces pétrolières de Kirkouk et Salaheddine, des secteurs clés du pays.

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Six districts à l’ouest et au sud de la ville de Kirkouk, ainsi que Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, sont ainsi passés sous le contrôle de l’EIIL ces deux derniers jours (voir carte ci-dessous). Une avancée djihadiste jugée d’autant plus inquiétante qu’elle n’a rencontré quasiment aucune résistance de la part de l’armée irakienne. "Nous ne pouvons pas les vaincre. C’est impossible, ils sont parfaitement entraînés à la guérilla urbaine et nous ne le sommes pas", a confessé à ce propos un officier irakien à Reuters.

Pourtant les Kurdes l’assurent : "Ce qui s’est passé à Mossoul ne se reproduira pas à Kirkouk", selon des propos rapportés depuis Erbil, la capitale du Kurdistan, par "Le Monde". Car Kirkouk n’est pas une ville comme les autres. La cité multiconfessionnelle est à l’origine d’un conflit larvé entre Bagdad et Erbil, qui se disputent son contrôle… et ses puits de pétrole. Les Kurdes, qui considèrent la ville comme leur capitale historique, souhaitent l’intégrer au Kurdistan, requête qui fait fulminer le pouvoir central irakien.

"Maliki sait qu’il aura du mal à se passer de l’aide kurde"

Mais avec l’arrivée des djihadistes aux portes de cette ville déjà âprement disputée, le rapport de forces pourrait évoluer. Selon Guillaume Perrier, le correspondant du Monde à Istanbul, le gouvernement d’Erbil a envoyé des Peshmerga (combattants de l’armée kurde) pour suppléer les forces irakiennes autour de la ville pétrolière de Kirkouk. Le gouverneur de Mossoul, Athil Noudjaifi, avait déjà appelé lundi le président du Kurdistan irakien à déployer ses combattants pour lutter contre les "terroristes".

"Maliki [le Premier ministre irakien] sait qu’il aura du mal à se passer de l’aide kurde. Sans les Peshmerga, qui sont des soldats aguerris, l’armée irakienne peinera à reconquérir seule les villes aux mains des djihadistes", explique Karim Pakzad, spécialiste de l’Irak à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Jusqu’à présent, les combattants kurdes ont toujours su repousser les attaques de l’EIIL, notamment dans le nord de la Syrie. Ils apparaissent donc aujourd'hui comme les plus à même de pouvoir contenir l’avancée djihadiste.

"L’avancée de l’EIIL réintroduit les Kurdes dans le jeu national irakien"

À terme, cet avantage militaire kurde pourrait bien se transformer en atout politique. "L’avancée de l’EIIL réintroduit les Kurdes dans le jeu national irakien. Et les présente comme une aide incontournable", ajoute Karim Pakzad. En position de force, les Kurdes pourraient donc saisir l’occasion de renégocier avec Maliki, considérablement affaibli.

"Le Premier ministre n’aura pas d’autres choix que d’assouplir sa position vis-à-vis des Kurdes", continue Karim Pakzad. Déjà largement autonomes, disposant de leur propre gouvernement, de leur propre armée et de leurs propres revenus tirés de leurs puits de pétrole, les Kurdes pourraient en profiter pour accélérer leur sécession.

Mais pour l'heure, rien n'est encore acquis dans cette région qui cumule également plusieurs faiblesses. Économiquement, ses revenus restent fragiles. "[Au Kurdistan], il y a des réservoirs de pétrole mais pas de géant" avait confié en 2013 un représentant d’une compagnie pétrolière à "La Croix". Militairement ensuite, car malgré plusieurs victoires contre les djihadistes, le Kurdistan a lui aussi été touché de plein fouet par les attaques terroristes. En septembre 2013, une série d’attentats avaient frappé Erbil, plus précisément le QG des services de sécurité, cœur des renseignements. Six personnes avaient été tuées.