Israël élit ce mardi son 10e président, qui doit remplacer Shimon Peres fin juillet. Le doyen de la politique israélienne aura accompagné son pays de sa création aux dernières tentatives de paix, en passant par les accords d’Oslo. Portrait.
L’image est parfaite : Shimon Peres et Mahmoud Abbas se donnant une accolade chaleureuse, sous l’œil bienveillant du pape François, dans le cadre bucolique des jardins du Vatican. Les présidents israélien et palestinien, réunis dans la cité papale pour une prière en faveur de la paix, dimanche 8 juin, ont affiché leur complicité, renforçant ainsi la réputation d’artisan du dialogue de Shimon Peres.
Le parcours du président israélien, aujourd’hui âgé de 91 ans - ce qui fait de lui le plus vieux chef d’État du monde en exercice -, révèle pourtant une personnalité politique plus complexe : Shimon Peres a d’abord été qualifié de "faucon", au sein du Parti travailliste dans les années 1970, avant d’être classé dans le camp des "colombes" après la signature des accords d’Oslo en 1994 et l’obtention du prix Nobel de la paix. Et le chef de l’État hébreu, dont le mandat de sept ans arrive à son terme le 26 juillet prochain, est autant critiqué par la gauche que par la droite dans son pays : les premiers lui reprochent d’avoir échoué à concrétiser l’aspiration à la paix, tandis que les autres dénoncent sa trop grande proximité avec les leaders palestiniens.
Malgré ces critiques, Shimon Peres inspire toutefois le respect au sein de la société. D’après un sondage commandé par la chaîne de télévision israélienne Channel 2 en janvier, les deux tiers des Israéliens souhaiteraient, si c’était possible, qu’il reste à son poste. Face à une classe politique minée par les scandales de corruption ou de mœurs, le président nonagénaire incarne une figure tutélaire rassurante, notamment parce qu’il est le dernier survivant de la génération des pères fondateurs d’Israël.
De la Pologne à la Palestine
Shimon Peres est né Szymon Perski le 2 août 1923 à Vichnev, une ville située en Pologne à l’époque, aujourd’hui en Biélorussie. Il émigre avec ses parents à Tel Aviv à l’âge de 11 ans. Son cursus secondaire terminé, il étudie dans une école d’agriculture, puis s’engage, en 1947, dans le Haganah, une organisation de défense des communautés juives émigrées en Palestine. Il devient l’un des dirigeants de l’organisation, qui s’agrège, après la création d’Israël en 1948, avec deux autres groupes armés pour former la première armée israélienne.
Shimon Peres rencontre alors David Ben Gourion, qu’il décrira toujours comme son modèle. "J’ai appris de mon maître David Ben Gourion à toujours préférer l’État au parti", a-t-il répété plus d’une fois au cours de sa carrière politique.
À 29 ans, il est nommé directeur général du ministère de la Défense israélien. À ce poste, il s'occupe principalement des achats d’armes du jeune État. Il lance aussi, dans les années 1950, le programme nucléaire israélien – à la fois militaire et civil -, avec l’aide de la France.
Shimon Peres, qui devient l'un des cadres du Parti travailliste, sera ensuite trois fois Premier ministre et occupera divers portefeuilles, de la Défense aux Affaires étrangères, en passant par l’Information et l’Intégration. Seule entorse à son parcours jusque-là sans faute : il est mis en cause dans l’affaire Lavon en 1960. Mais son implication dans ce complot des services secrets israéliens visant à déstabiliser l’Égypte de Nasser ne sera jamais officiellement prouvée.
De faucon à colombe
En terme de positionnement politique, Shimon Peres évoluera beaucoup au cours de sa carrière : dans les années 1970, il soutient les premières implantations de colonies juives en Cisjordanie, mais il aura un rôle majeur, vingt ans plus tard, dans les négociations des accords d’Oslo.
Conclus en 1993, son implication lui vaut, comme au dirigeant palestinien Yasser Arafat et au Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, de recevoir le prix Nobel de la paix l’année suivante. Ils vaudront aussi à Rabin d’être assassiné par un extrémiste juif en 1995. Shimon Peres ressortira, lui, indemne de l’attaque.
Cette image d’homme du dialogue avec les Palestiniens que se forge alors Peres ne convainc pourtant pas ses concitoyens, qui lui préfèrent presque toujours ses concurrents politiques lors des élections auxquelles il se présente. La première préoccupation des Israéliens reste leur sécurité, et beaucoup craignent que les négociations de paix ouvrent la voie à de nouvelles menaces sur ce plan-là. Autre handicap pour Shimon Peres : contrairement à Moshe Dayan ou Ehud Barak, ce n’est pas un militaire, il ne peut pas mettre en avant des faits d’armes pour gagner la confiance des Israéliens. L'homme de paix admiré dans le monde entier est ainsi devenu, au fil des années, l'éternel perdant des scrutins électoraux israéliens.
Mais Peres est aussi l’homme des compromis avec la droite israélienne : contre toute attente, il accepte en 2000 d’être le ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Ariel Sharon. Il défend alors, face aux critiques internationales, la construction du mur de séparation entre l’État hébreu et la Cisjordanie, et soutient Sharon dans son entreprise de démantèlement de l’infrastructure politique et militaire des organisations palestiniennes, pour mettre un terme aux attentats-suicides.
Malgré ses positions globalement modérées, Shimon Peres ne reconnaît pas non plus l’illégalité des colonies israéliennes. Il en reste à la position officielle, qui parle de "territoires disputés" pour les zones d’implantation des colonies.
Un accord avorté en 2011
Fluctuations idéologiques ou calcul politique, il finit par quitter le parti travailliste et par rejoindre le parti centriste Kadima, créé par Ariel Sharon en 2005. Deux ans plus tard, il est élu président par les députés de la Knesset, le Parlement israélien. La fonction est principalement protocolaire en Israël, mais Shimon Peres sera salué pour lui avoir rendu sa solennité : l’homme jouit d’une réelle autorité morale, alors que son prédécesseur, Moshe Katsav, avait dû démissionner après avoir été mis en cause dans des affaires de viols et de corruption.
En mai dernier, quelques mois avant la fin de sa mission à la tête de l’État, Shimon Peres a également pris soin de dénoncer l’attitude du Premier ministre actuel, Benyamin Netanyahou, face au processus de paix : il a accusé le chef du gouvernement d’avoir empêché, en 2011, la conclusion d’un accord que Peres avait négocié secrètement avec Mahmoud Abbas. "Netanyahou m’a dit d’attendre quelques jours, car il pensait que Tony Blair [envoyé spécial du Quartette pour le Proche-Orient, NDLR] pouvait faire une meilleure offre. Les jours ont passé et il n’y a pas eu de meilleure offre", a regretté Shimon Peres à Channel 2. Alors que Benjamin Netanyahou soutient depuis des mois que Mahmoud Abbas ne veut pas parvenir à un accord de paix, Shimon Peres répète que "Abou Mazen" est un partenaire pour la paix.
En allant prier pour la paix avec le chef de l’Autorité palestinienne au Vatican, Shimon Peres semble donc avoir voulu effectuer le dernier geste fort de sa présidence. Un ultime appel à la paix entre Israéliens et Palestiniens, comme pour conjurer l’échec répété du processus lancé il y a plus de vingt ans.