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Tiananmen, tournant dans l'histoire du capitalisme à la chinoise ?

Trente ans après la répression de Tiananmen, le mouvement n’a pas engendré de réformes politiques majeures. Mais qu’en est-il sur le plan économique ? Cette question est toujours débattue.

Quel rapport entre un homme qui se tient seul devant une colonne de chars place Tiananmen en 1989 et le miracle économique chinois ? A priori aucun. Le mouvement de révolte, réprimé il y a 30 ans, était animé par la volonté de réforme politique. Les considérations économiques n’étaient que secondaires, voire inexistantes.

Pourtant, certains économistes jugent que Tiananmen est l’acte fondateur du modèle économique chinois actuel. “C’est l’an I de l’économie de marché socialiste à la sauce chinoise”, assure Jean-François Dufour, économiste et président du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse.

Pour cet expert, le “traumatisme de Tiananmen” explique, en grande partie, la politique économique menée par Pékin à partir de 1992. “Elle est marquée par deux aspects : faire de la croissance économique la priorité absolue et garder un contrôle étatique sur les fondamentaux de l’économie”, souligne Jean-François Dufour.

La croissance pour étouffer la grogne sociale

Dans cette analyse, les manifestations estudiantines et la répression militaire qui s’en est suivie, jouent le rôle de déclic pour Pékin. “La Chine a une longue tradition révolutionnaire et Tiananmen est apparu, aux yeux du Parti communiste, comme l’un de ces moments où le régime est en danger”, rappelle Jean-François Dufour. Problème : le pouvoir n’envisage absolument pas de mener des réformes politiques. Pour acheter la paix sociale, le parti ne voit alors qu’une seule solution : tout miser sur les réformes économiques afin que la croissance étouffe la grogne.

Reste qu’au lendemain de la répression sanglante de 1989, tout le processus de réforme vers davantage d’économie de marché semble gelé. “Il y a en effet un trou de trois ans qui correspond à une période de lutte politique au sommet de l’État pour tirer les conséquences des événements”, analyse Jean-François Dufour. Deng Xiaoping, homme fort du régime et partisan d'une ouverture de l'économie chinoise, donne d’abord des gages à l’aile la plus conservatrice du parti. Puis, aidé par son successeur à la tête du pays Jiang Zemin, il réussit à convaincre toutes les factions du parti de la nécessité des réfomes économiques pour la pérennité du régime.

C’est probablement l’impact le plus important de Tiananmen pour Jean-François Dufour. “Jusqu'alors les tenants de la libéralisation de l'économie chinoise devaient composer avec les plus conservateurs. Après Tiananmen, tout le monde est d’accord pour dire que la croissance économique est le meilleur moyen d’étouffer les velléités de réformes politiques”, assure-t-il.

Tiananmen : “acte fondateur” ou simple “étape” ?

Cette vision d’un Tiananmen créateur de consensus politique pour un modèle économique laisse d’autres spécialistes perplexes. Pour Mary-Françoise Renard, responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine (IDREC), la ligne réformiste de Deng Xiaoping a, certes, triomphé en 1992. Mais de là à dire que le parti ne parlait alors plus que d’une seule voix, il y a un pas que cette spécialiste refuse de franchir.

Plus généralement, elle a du mal à adhérer à la thèse de “l’acte fondateur”. “Face aux événements de Tiananmen, le Parti communiste chinois a certes adapté sa politique économique, mais il le fait régulièrement face aux évolutions de la société”, juge Mary-Françoise Renard.

En outre, elle ne pense pas que 1989 marque une rupture dans la politique économique chinoise. “La volonté d’intégrer des éléments de l’économie de marché dans le modèle communiste chinois pour stimuler la croissance est déjà évoqué à l’époque de Mao et prend forme à partir de 1978 sous l’impulsion de Deng Xiaoping”, rappelle-t-elle.

En ce sens, cette économiste juge que Tiananmen est davantage “une étape” dans une politique de libéralisation de l’économie chinoise débutée bien avant. Mais étape ou acte fondateur, les événements du printemps 1989 ont sans conteste eu un impact économique rarement évoqué.