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En Égypte, le projet “Big Brother” pour les réseaux sociaux fait des vagues

Le ministère de l’Intérieur égyptien a reconnu être à la recherche d’un logiciel espion pour surveiller l’activité sur les réseaux sociaux. Le projet, dont le but officiel est de lutter contre le terrorisme, passe mal auprès des Égyptiens.

Depuis dimanche, ça n’arrête pas. Les messages ironiques et courroucés d’Égyptiens, indignés par la perspective de l’avènement d’un “Big Brother” dans leur pays, se déversent par centaines sur Twitter sous le hashtag “Nous sommes surveillés” (#احنا_متراقبين)). Un mot clef utilisé plus de 46 000 fois sur le célèbre site de microblogging, affirme le site de la chaîne britannique BBC, mardi 3 juin.

“Une requête à celui qui surveille ce que j’écris, pourrais-tu me retweeter ?”

“Une requête à celui qui surveille ce que j’écris, pourrais-tu me retweeter ?”, s’amuse ainsi un internaute égyptien. “Un surveillant pour chaque citoyen ! Tu as vu à quel point tu es devenu important, citoyen ?”, ironise un autre.

L’objet de cette ire populaire ? La volonté des nouvelles autorités égyptiennes de se doter d’un système de surveillance renforcée des réseaux sociaux révélée, dimanche 1er juin, par le journal égyptien "El-Watan". Le quotidien s'est procuré un document confidentiel du ministère de l’Intérieur faisant état d’un appel d’offres pour trouver un logiciel capable de repérer des messages qui seraient “contraires aux lois et à l’ordre public, 30 secondes après leur publication sur Twitter, Facebook, WhatsApp et Viber.

“Dégradant”, “immoraux”, et “fabriquer des bombes artisanales”

"Un surveillant pour chaque citoyen… Tu as vu à quel point tu es important citoyen ?"

Le cahier des charges pour les sociétés intéressées par ce marché est précis. Les termes à surveiller sont ceux qui seraient “dégradants ou insultants”, inciteraient à “la violence, à l’extrémisme, à la rébellion” ou encore aux “manifestations et grèves illégales”. Le ministère de l’Intérieur a, d’après ce document, également dans le viseur les propos “pornographiques, décadents, immoraux” ou appelant “à la débauche”. Enfin, le logiciel espion doit aussi donner l’alerte si un internaute poste sur l’un des réseaux sociaux des plans et méthodes pour “fabriquer des bombes artisanales”.

Le ministère de l’Intérieur ne semble pas s’intéresser uniquement au contenu des messages. Ce “Big Brother” pour les forces de sécurité égyptiennes sera également chargé d’identifier les “faiseur d’opinion” dans des zones géographiques données et de suivre comment le sentiment des utilisateurs de Facebook et autres évoluent.

Si la NSA le fait….

Face à ces révélations, Mohamed Ibrahim, le ministre de l’Intérieur, n’a pas nié les faits. Il assure, cependant, que son projet ne vise nullement à réduire la liberté d’expression. Son souci serait uniquement d’améliorer la lutte contre le terrorisme et de défendre l’ordre public : “notre but est de rechercher les criminels et les poseurs de bombes qui mettent nos vie en danger”, a affirmé à la télévision égyptienne Mohammad Abdel Wahid, un porte-parole du ministère de l’Intérieur.

Les autorités voient d’autant moins le problème qu’il s’agit pour eux essentiellement “de rattraper notre retard” sur d’autres pays. “Les États-Unis le font bien [avec les programmes de cyberespionnage de la NSA, NDLR]”, souligne Mohammad Abdel Wahid. Un parallèle avec les États-Unis qui n’étonne pas Rik Ferguson, un responsable de la société japonaise de sécurité informatique Trend Micro : “l’intention est similaire, même si la portée est moins vaste en Égypte”, explique-t-il au quotidien britannique “The Guardian”.

Les explications du ministère et le parallèle avec la NSA sont loin d’avoir satisfait les Égyptiens. Le traumatisme de l’ère Moubarak est toujours vivace dans le pays. Déjà en 2011, les services de renseignement du Raïs déchu avait mis en place un système de surveillance des réseaux sociaux similaire. À quelques jours de l’accession d’Abdel Fattah al-Sissi à la tête de l’État, ce nouveau projet rappelle trop à la population une époque qu’elle espérait révolue.