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Au Caire, de "Dreamland" aux bidonvilles

Dans l’Égypte de l'après-révolution, les voitures de luxe côtoient les bidonvilles. Ces inégalités, qui se sont aggravées depuis vingt ans, représentent le premier défi d’Abdel Fattah al-Sissi après son élection à la tête de l’État.

Après trois jours de scrutin, le maréchal retraité Abdel Fattah al-Sissi est assuré de remporter une victoire écrasante à la présidentielle égyptienne : d’après les résultats de 90 % des bureaux de vote, il récolte 96 % des suffrages, a annoncé jeudi 29 mai la télévision d’Etat.

Son unique adversaire, le leader de la gauche Hamdeen Sabahi, n'a recueilli que 3,8 % des votes valides, tandis qu’environ 4 % des électeurs ont mis des bulletins nuls dans l’urne, selon ce décompte provisoire. Les résultats officiels du scrutin doivent être annoncés dans quelques jours, mais l’élection de Sissi ne fait aucun doute.

L’ex-chef de l’armée est donc en passe de devenir le nouveau président du pays arabe le plus peuplé. Il devra cependant gouverner avec une légitimité fragile, puisque seulement 45 % des électeurs se sont rendus aux urnes, selon ces premiers résultats.

Une priorité : relancer l'économie

L’un des principaux défis du nouveau raïs sera de relancer l’économie égyptienne, qui tourne au ralenti depuis le soulèvement de janvier 2011 contre Hosni Moubarak. Le pays survit actuellement grâce à l’aide financière de l'Arabie Saoudite et des Emirats.

Le cycle de violence dans lequel l'Egypte est plongé – les attaques contre les forces de l’ordre sont quasi-quotidiennes depuis l’été dernier – est un sérieux obstacle à une relance de l’activité économique, et en premier lieu du tourisme, qui employait, avant la révolution, plus de 10 % de la population active.

Mais même si Abdel Fattah al-Sissi parvenait à remettre l’économie égyptienne sur les rails, il faudrait des années pour réduire l’écart entre les plus riches et les plus pauvres de ses concitoyens.

Piscines et pelouses verdoyantes

Au Caire, ces inégalités sont criantes. Des quartiers flambants neufs côtoient les bidonvilles insalubres. "Dreamland" est un quartier à l'américaine, à une demi-heure seulement du centre ville de la capitale égyptienne, avec pelouses verdoyantes et gardiens sourcilleux à l’entrée. Un rêve que seuls quelques privilégiés peuvent s’offrir.

Mohamed et Yassine sont collègues et amis depuis cinq ans. Tous les deux parlent couramment anglais. Yassine habite à Dreamland avec ses parents. "Ici, c'est 700 € du mètre carré. La plupart des logements font 240 mètres carrés, donc si vous multipliez, ça donne un prix très élevé", explique-t-il en faisant visiter l’appartement familial. "Là, c'est la piscine. Chaque bloc d'immeubles à sa propre piscine."

A Dreamland, on peut aller boire un "latte" au café – climatisé – du coin, faire du shopping dans un centre commercial, ou faire une partie de golf en rentrant du travail... Tous les services sont assurés, les habitants n’ont presque pas besoin de sortir de leur lotissement doré, si ce n’est pour aller travailler au Caire.

Depuis la fin des années 1990, des dizaines de ces compounds de luxe ont fleuri au milieu du désert. A quelques kilomètres des quartiers déshérités du Caire, où l’on vit souvent avec moins de deux dollars par jour.

"Quand je vais dans d'autres quartiers, dans les quartiers pauvres, par exemple, ça ne me fait pas plaisir de voir des gens confrontés à tous ces problèmes", assure Yassine. "Mais, soyons honnêtes, toi, t'es un type bien, mais tout le monde n'est pas comme toi. Par exemple les gens plus âgés... Nous les jeunes, on comprend ce qui se passe, mais les vieux qui vivent dans le luxe, ils y sont habitués, et ils s'en foutent de ce qu'ils voient dehors !", rétorque son ami Mohamed.

Vivre au milieu des ordures

Pour près d'un habitant sur deux, au Caire, la réalité ressemble en effet plutôt au bidonville de Manshiet Nasser. Quelque 80 000 zabalines, les chiffonniers du Caire, vivent ici de la collecte et du recyclage des déchets. Tout le monde y participe, même les enfants. "Les jours d’école, mon fils commence à travailler ici à 6 heures du matin, pour ensuite repartir à midi à l’école. Il travaille avec son frère, ses sœurs et moi toute la journée", raconte Hani.

Dans ce quartier, c’est le système D qui prévaut. Certains logements n’ont ni eau courante, ni égouts. "Les immeubles de Manshiet Nasser manquent des équipements les plus basiques. Les gens d’ici se débrouillent seuls. On s'organise comme si on était une association. Si on veut créer un système d’égouts, on se cotise avec une vingtaine d'autres familles, et si on veut de l’électricité on cotise tous ensemble. On s’organise nous-mêmes", explique Hani.

Chaque jour, selon les Nations unies, Le Caire gagne 1 000 nouveaux habitants. A ce rythme, la capitale égyptienne devrait bientôt dépasser les 20 millions d'habitants. Pour la plupart, ce sont des Égyptiens de la campagne, qui s’installent dans la capitale égyptienne dans l’espoir de mieux gagner leur vie.

Ils n’ont souvent d’autre choix que d’élire domicile dans un des bidonvilles du Caire. Ces quartiers où l’on manque de tout, où les piscines et les pelouses n’existent qu’en rêve, sont donc loin de disparaître.