Confrontées à une forte abstention, les autorités égyptiennes ont allongé d’une journée la durée du vote pour la présidentielle. À la télévision, des journalistes et éditorialistes s’en prennent violemment aux électeurs qui boudent les urnes.
"L'État cherche des voix", titrait "Al-Masry Al-Youm", mercredi 28 mai. Sous-titre du quotidien du Caire : "La journée fériée accordée hier 27 mai n'a pas fait remonter la participation." Lors des deux premiers jours du scrutin, lundi et mardi, seuls quelque 37 % des inscrits ont voté, selon la commission électorale égyptienne. Ce chiffre est très en deçà de la mobilisation escomptée pour que le triomphe attendu du candidat de l'armée, Abdelfattah al-Sissi, ait bien lieu. La commission électorale a ainsi annoncé que le scrutin était prolongé pour une troisième journée, ce mercredi.
Le soulèvement populaire du printemps 2011, qui avait vu chuter le raïs égyptien Hosni Moubarak, avait fait naître l’espoir d’une presse qui ne soutiendrait pas aveuglément les dirigeants du pays et porterait un regard critique sur leurs actions. Mais l’élection présidentielle qui a suivi, avec l’arrivée au pouvoir de l’islamiste Mohamed Morsi, a changé la donne. De nombreux journalistes égyptiens ont accueilli Sissi comme un sauveur lorsqu’il a destitué Morsi, le 3 juillet 2013, après des manifestations monstre, et qu’il a violemment réprimé les Frères musulmans. Les journalistes égyptiens ont ainsi participé à la "Sissi mania" qui s’est emparée du pays ainsi qu'à l’avènement d’un autre leader.
"L'abstentionniste devrait se tirer une balle"
Depuis le début du vote, sur des télévisions privées comme publiques, des journalistes et présentateurs se sont adressés directement à leur téléspectateur pour les inciter à aller voter et soutenir Sissi.
Lundi, le célèbre éditorialiste Taoufik Okasha s’en est violemment pris aux abstentionnistes. Sur le plateau de la chaîne de télévision privée al-Faraeen, il a intimé à ceux qui n’avaient pas fait le déplacement dans la journée d’aller voter le lendemain, décrété jour férié pour augmenter la participation. Passant en revue les fausses excuses de certains Égyptiens, il a demandé : "Que voulez-vous ? J’embrasserai les pieds de vos parents… Dois-je enlever mes vêtements et apparaître nu en direct à l’antenne pour que les gens me croient [quand je dis qu’il est important d’aller voter] ?" Lorsque la présentatrice lui a demandé ce qu’il devait arriver à une femme si elle préférait aller au marché ou faire la cuisine plutôt que d’aller voter, il a tapé la main sur la table et crié : "Elle devrait se faire tirer dessus." Et de préciser : "Elle devrait se tirer une balle."
Mardi, deux chaînes de télévision privées ont fait des flashs spéciaux expliquant que ceux qui n’allaient pas voter pouvaient être poursuivis en justice. Elles s’appuyaient sur propos attribués à des membres de la commission électorale.
Mostafa Bakry, un autre éditorialiste égyptien – qui a un jour dit que les Américains présents en Égypte devraient être abattus en pleine rue si les États-Unis s’en prenaient à Sissi –, a rejoint cette frénésie médiatique et appelé à une forte participation pour donner à l’ex-chef de l’armée la légitimité des urnes. "Quiconque ne descend pas voter donne le 'baiser de la vie' à ces terroristes", a-t-il crié sur le plateau de la télévision Al-Nahar, en pointant la caméra du doigt. Principaux visés : les Frères musulmans et les forces révolutionnaires, qui ont appelé au boycott du scrutin. "Sortez [pour voter], ceux qui n’y vont pas sont des traitres, des traîtres, des traîtres, qui vendent ce pays", a-t-il dit.
Lamis al-Hadidi, présentatrice d’un célèbre talk-show sur une chaîne de télévision privée, a résumé la volonté générale des soutiens de la candidature de Sissi : "Nous sommes à la recherche d’un vote populaire qui fera comprendre au monde que c’est la volonté du peuple." C'est elle qui interviewait Abdel Fattah al-Sissi à la télévision, le 5 mai dernier, lors de sa première interview télévisée en tant que candidat.
Avec Reuters