, envoyé spécial à Cannes – Avec "The Search", Michel Hazanavicius rate son passage au drame de guerre. Jean-Luc Godard, lui, dynamite le cinéma dans son essai punk "Adieu au langage". Et le jeune Xavier Dolan fait chavirer la Croisette avec son mélo "Mommy".
Encensé un jour, conspué le lendemain. Après avoir enchanté la Croisette avec "The Artist" en 2011 (puis ravi le cœur d’Hollywood qui le lui a bien rendu), l’oscarisé Michel Hazanavicius s’est attiré les foudres d’une grande partie de la critique du 67e Festival de Cannes. Deuxième film d’un Français présenté en compétition, "The Search" a essuyé, lors de sa projection devant la presse, jeudi 21 mai, de retentissantes huées que le "Vos gueules !" lancé par un festivalier n’est pas parvenu à faire taire. Le cinéaste voulait se montrer capable de faire du grand cinéma sérieux, il a raté le coche.
Véritable tournant dans la filmographie d’un réalisateur habitué aux comédies, "The Search" semble en effet n’avoir d’autre utilité que de prouver le courage de son auteur. Courage de s’être aventuré dans le mélo. Courage de s’être immiscé sur un terrain peu exploré : la seconde guerre de Tchétchénie en 1999. Courage aussi de s’être inscrit dans les pas du prolifique Fred Zinnemann (1907-1997), auteur du classique hollywoodien "Le train sifflera trois fois" et du moins célèbre "Les Anges marqués", film sur la Seconde Guerre mondiale dont "The Search" s’est inspiré.
Bérénice Bejo peu inspirante
À l’instar de son modèle, le cinquième long-métrage de Michel Hazanavicius entend montrer l’horreur de la guerre à travers le récit d’un jeune orphelin trouvant son salut auprès d’une bonne âme. Ici, le Bon Samaritain est interprété par Bérénice Bejo, l’épouse de Michel Hazanavicius, qu’on a connu ailleurs plus inspirée et plus inspirante. En chargée de mission de l’Union européenne, aussi languissante que l’institution qu’elle représente, la comédienne est à mille lieues de la prestation qui lui valu, l’année dernière, le prix d’interprétation grâce au "Passé". La faute à la platitude de son personnage qui à aucun moment ne permet à la relation mère-fils naissante de susciter un quelconque début d’émotion.
"The Search" grouille de ces scènes censées remuer le spectateur mais qui laisse de marbre tant on les voit venir à des kilomètres. Sur la guerre comme territoire de la déshumanisation, tout a déjà été dit chez Stanley Kubrick, Francis Ford Coppola, Michael Cimino et consorts. Sur les rapports entre un enfant et une mère de substitution, merci, mais nous avions déjà vu "Gloria" et "Le Gamin au vélo". Après deux heures et demi de ce drame aussi naïf que vain, Hazanavicius ne nous a finalement rien montré de plus qu’on ait déjà vu au cinéma. Étrange panne d’inspiration de la part de celui qui, avec "The Artist", parvint à faire du neuf avec du vieux.
"Je ne fais plus partie de la distribution"
Encensé un jour, encensé toujours. Bien qu’il dispose sur la Croisette d’un public largement acquis à sa cause, Jean-Luc Godard a jugé bon de ne pas faire le déplacement jusqu’à Cannes, où son film en 3D, "Adieu au langage", concourt pour la Palme d’or. Dans une "lettre filmée" adressée au président du festival, Gilles Jacob, le doyen de la compétition (83 ans) explique les raisons qui l’ont dissuadé de monter les "augustes 24 marches un peu perdu dans le troupeau" : "Je ne fais plus partie, et depuis longtemps, de la distribution. Je ne suis plus là où vous croyez encore que je suis encore." Du pur Godard.
C’est donc en l’absence du cinéaste de la Nouvelle Vague que ses adeptes les plus fervents ont acclamé, jeudi, sa dernière "expérimentation". Car, comme il le sous-entend lui-même, "Adieu au langage" est un "essai d’investigation cinématographique". Un ovni, un geste punk, un charivari de sons et de lumières qui dynamite le cinéma. Et séduit au-delà de la sphère des godarolâtres.
Le film n’a pourtant rien de confortable. Absence de narration (on cherche encore l’histoire du couple et du chien qu’on nous annonçait), montage sibyllin, niveau sonore à la limite du supportable, jeu d’acteurs très théâtre contemporain… "Adieu au langage" déclame, fait la leçon, cite, sur-cite et sur-sur-cite. Du Soljenitsyne, du Rilke, du Darwin, du Mao Tse-Toung, du Monet (Claude, le peintre). On ne comprend pas grand-chose mais on se laisse embarquer.
Impénitent père la morale dans ces récents derniers films, le réalisateur helvète se fait ici amuseur de galerie, jouant même avec son image de vieux schnock sentencieux. "La pensée trouve sa place dans le caca", dit l’un des personnages, assis sur ses toilettes, comme pour démythifier le sérieux godardien. Poème dada espiègle, "Adieu au langage" est aussi capable de fulgurances notamment dans l’usage - très malin - de la 3D, obligeant le spectateur à cligner de l’œil pour reconstituer une scène. Superbe trouvaille qui prouve qu’à 83 ans Jean-Luc Godard n’en a toujours pas fini avec le cinéma. "Je ne sais pas quand je reviendrai", dit-il à la fin du film. Peut-être jamais plus sur la Croisette, mais très certainement sur les écrans.
Mélo familial tendance claustro
Hasard du calendrier ou calcul savant des programmateurs, c’est au film du benjamin Xavier Dolan (25 ans) qu’est incombé, jeudi, la lourde tâche de passer après le doyen Godard. Pour la première fois en compétition, le prodige et prolixe canadien n’a pas volé sa place dans la cour des grands. "Mommy", son cinquième long-métrage, est un drame familial enlevé et audacieux qui se joue des codes du genre.
Revenant sur les terres de son premier film "J’ai tué ma mère" (2009), Dolan explore les relations conflictuelles entre une mère et son fils. Jeune veuve excentrique au verbe fleuri, Diane (exceptionnelle Anne Dorval) se voit de nouveau confier la garde de Steve, adolescent hyperactif atteint de troubles du comportement (Antoine-Olivier Pilon, impressionnant). Etonnamment, le retour au bercail du rejeton se fait dans une bonne humeur presque excessive. Le fils complimente et charrie grossièrement sa mère, qui lui rend la pareille dans une langue québécoise triturant joyeusement le "français de France". C’est drôle, piquant, mais ces deux-là s’aiment fort, trop fort, pour que le film reste dans le domaine de la comédie bouffonne.
Les accès de violence de Steve et l’énergie déployée par sa mère pour les contenir rendent peu à peu l’ambiance électrique. Atmosphère étouffante et claustrophobe renforcée par le format carré de l’image projetée durant la quasi-totalité du film (le premier élargissement de l’écran sous nos yeux donnera d’ailleurs lieu à l’un des moments les plus forts de "Mommy").
Le film vire rapidement au mélodrame, passage marqué par l’intrusion, pas toujours convaincante, de nouveaux personnages au milieu de cette relation exclusive. Comme cette étrange voisine à la timidité maladive (Suzanne Clément) qui offre parfois au film un excédent émotionnel dont le cinéaste ne sait pas toujours quoi faire. "Mommy" n’a certes pas la régularité bluffante du magique "Laurence Anyways" (son troisième long-métrage présenté à Un certain regard en 2012), mais demeure dans la lignée du cinéma de Xavier Dolan. Un cinéma qui ose sans peur du ridicule. Et des huées rageuses des festivaliers.
-"The Search" de Michel Hazanavicius, avec Bérénice Bejo, Annette Bening, Abdul Khalim Mamatsuiev, Maxim Emelianov.... (Compétition)
-"Adieu au langage" de Jean-Luc Godard, avec Héloïse Godet, Zoé Bruneau, Kamel Abdelli ... (Compétition)
-"Mommy" de Xavier Dolan, avec Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément... (Compétition)