
La présence conjointe du président nigérian Goodluck Jonathan et de son homologue camerounais Paul Biya au Sommet pour la sécurité au Nigeria permet-elle d’envisager une collaboration plus étroite dans la lutte contre Boko Haram ?
Le président nigérian Goodluck Jonathan assis en face de son homologue camerounais Paul Biya. Une image rare, rendue possible par le Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria, organisé samedi 17 mai à l’Élysée, qui témoigne de l’importance du dialogue entre les deux pays pour lutter contre la menace Boko Haram.
"Le Nigeria et le Cameroun ont de bonnes relations", a déclaré sans ciller Goodluck Jonathan, qui réclamait vainement depuis plusieurs mois une rencontre avec Paul Biya. Ce dernier a affirmé que "le problème Boko Haram a cessé d’être un problème nigérian. Il est devenu un problème régional sinon continental. Nous sommes ici pour déclarer la guerre à Boko Haram. On va la poursuivre et on vaincra".
Cette déclaration velléitaire du président camerounais n’a sans doute pas effacé les accusations à peine voilées de complaisance du Cameroun vis-à-vis de Boko Haram formulées par les autorités nigérianes. Et Paul Biya de se justifier : "Ce n’est pas moi qui dicte les choix de Boko Haram. Il se trouve qu’ils ont une certaine préférence pour le Cameroun."
Préserver la bonne coexistence des communautés religieuses du Cameroun
Le Nigeria et le Cameroun partagent 1 700 kilomètres de frontière, mais c’est son extrémité nord qui est au centre de l’attention internationale depuis l’enlèvement de plus de 200 lycéennes par Boko Haram, à Chibok, au nord-est du Nigeria, le 14 avril. La frontière poreuse du nord du Cameroun fait de cette région un point de passage et une base de repli pour le groupe islamiste. Recherchés par l’armée nigériane sur le terrain, mais aussi par les drones et les avions de surveillance occidentaux, les hommes de Boko Haram pourraient être tentés de se réfugier chez leur proche voisin camerounais.
Depuis plusieurs années, cette région du Cameroun a été, à plusieurs reprises, le théâtre de tueries et d’enlèvements perpétrés par les islamistes de Boko Haram ou sa branche dissidente Ansaru. C’est là qu’avaient été enlevés en 2013 la famille Moulin-Fournier puis le père Georges Vandenbeusch, avant d’être emmenés au Nigeria. La médiation camerounaise avait été déterminante dans la libération des otages français, en facilitant le versement probable de rançons, mais aussi en liberant des membres de Boko Haram détenus au Cameroun.
Les communautés religieuses ont toujours vécu en bonne intelligence au Cameroun. Aussi, les autorités de Yaoundé ont toujours craint de déstabiliser l’équilibre national en s’engageant fermement contre Boko Haram. Mais les déclarations de Paul Biya marquent une rupture : "Nous avons mis en place désormais des unités de combat et ce ne sera plus facile pour Boko Haram de s’attaquer au Cameroun. Surtout que maintenant, on va accentuer la coordination des actions avec le président Goodluck" et les autres partenaires, a affirmé le président camerounais. "Nous allons travailler ensemble", a confirmé Goodluck Jonathan.
Faire collaborer les renseignements et les forces armées
L’enjeu est maintenant de faire coopérer les services de renseignement et les armées des deux pays. Le vieux contentieux territorial autour de la péninsule riche en hydrocarbures de Bakassi, qui avait failli déclencher une guerre entre les deux pays au milieu des années 1990, est resté en travers de la gorge de l’armée nigériane. Le différend, tranché en 2002 en faveur du Cameroun par la Cour internationale de justice de la Haye, est encore dans toutes les mémoires de part et d’autre de la frontière. Quant aux services de renseignement nigérians, ils ont toujours été réticents à collaborer avec le Cameroun et encore plus avec les Occidentaux.
Le Cameroun a toujours refusé de laisser les soldats nigérians poursuivre des membres de Boko Haram sur son sol, ce qui a été perçu comme de la complaisance à l’égard du mouvement islamiste. "Il faut respecter les frontières et cela peut quelquefois aller à l’encontre des opérations. C’est pour cela que nous sommes présents [à Paris]", a assuré le président nigérian. La question du "droit de poursuite" du Nigeria au Cameroun est sans doute l’une des clés du confinement de la menace Boko Haram dans le nord-est du Nigeria.
En faisant un pas vers ses voisins et vers les Occidentaux, Goodluck Jonathan a commis un "aveu de faiblesse" qui pourrait lui coûter sa place à la prochaine élection présidentielle, analyse Antoine Glaser, fondateur de "La Lettre du Continent". En apportant son aide au voisin nigérian, Paul Biya prend lui aussi des risques vis-à-vis de l'opinion publique, note le journaliste. "Dans l’ancien ‘pré-carré’ français, il n’y a pas plus nationalistes que les Camerounais. Idem dans l’autre sens pour les Nigérians", assure-t-il.
Si la seule rencontre entre Paul Biya et Goodluck Jonathan était une petite victoire symbolique du sommet de Paris, reste à savoir si ces déclarations vont se traduire par des actions de terrain. Le "plan global" pour lutter contre Boko Haram annoncé en clôture du sommet comprenait l’échange de renseignements, la coordination d’actions communes et le contrôle des frontières. Comme l'expliquait Jean-Baptiste Placca, journaliste à RFI, lors d'un débat sur le sujet : "Si le Nigeria et le Cameroun acceptent de coopérer, Boko Haram a du souci à se faire".