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États-Unis : l’horreur de la prison des Black Panthers restituée en BD

L'histoire de Robert King, un ex-Black Panthers détenu à l’isolement aux États-Unis pendant 29 ans, est le sujet de "Panthers in the hole", une bande dessinée réalisée par un Français, en collaboration avec Amnesty International.

Après 31 ans en prison, dont 29 passés dans une cellule mesurant deux mètres par trois, Robert King l’affirme : "Je suis fou. Fou de colère". Ce militant de la cause noire âgé de 72 ans a été emprisonné à tort dans les années 1970. Aujourd’hui libre, son destin brisé a inspiré le personnage principal d’une bande dessinée "Panthers in the hole", publiée jeudi 15 mai. "Panthers" comme le nom du mouvement auquel il appartenait, les "Black Panthers", considérés à l’époque comme l’ennemi public numéro un aux États-Unis.

Sollicité par Amnesty International et la maison d’édition "La boîte à bulles", l’auteur du roman graphique, le Français David Cenou, voit son travail, aux côtés de son frère Bruno, comme un documentaire. "Je me suis énormément renseigné. Je ne connaissais rien à cette histoire. J’ai consulté des rapports de justice, des rapports médicaux, j’ai vu des photos…". Durant deux ans, en effet, l’histoire tragique de Robert King et de ses deux comparses, Albert Woodfox et Herman Wallace - incarcérés eux aussi pour leur militantisme au sein des Blacks Panthers - , a inspiré l’auteur. "J’ai du mal à croire que la justice américaine puisse être merdique à ce point, c’est vraiment foireux !", lâche-t-il.

Le poker du condamné

Au fil de la BD, il y décrit des scènes hallucinantes "dignes d’une série télévisée". Il faut dire que la prison Angola, lieu de détention des trois Black Panthers en Louisiane, est considérée comme la plus cruelle des États-Unis. Cet édifice, bâti sur une ancienne plantation esclavagiste et dont le nom rappelle l’origine de la majorité des esclaves à l’époque, détient un fort taux de mortalité : 86 % des prisonniers meurent durant leur détention, selon l’ONG Amnesty international, qui a démarré cette semaine une opération de sensibilisation à la torture dans le monde.

Comble de l’horreur à Angola : chaque année au mois d’octobre, "des rodéos des condamnés" - spectacles opposant des détenus à perpétuité aux prises avec des taureaux dans l’enceinte de la prison - sont organisés, rappelle David Cenou. "Le numéro le plus attendu, le "Convict poker" [poker du condamné], comble de plaisir les curieux venus de tout le pays", relate "Panthers in the hole". "Le dernier des joueurs à rester sur sa chaise [au beau milieu de l’arène, malgré les assauts du taureau, NDLR] remporte 200 dollars, ou mieux : s’il est suffisamment blessé pour que sa mort soit très probable, il peut avoir la chance de finir dehors en homme libre !"

Les Trois d'Angola

En 1972, Robert King, Herman Wallace et Albert Woodfox, trois Black Panthers actifs, sont condamnés pour vol à main armée. Deux ans plus tard, Robert King est accusé du meurtre d’un codétenu, tandis que Wallace et Woodfox sont reconnus coupables par un jury partial du meurtre d’un gardien de prison. Tous trois partent à l’isolement.

Si Robert King a été libéré en 2001, Herman Wallace a lui attendu 2013 pour sortir de ses geôles. Trois jours seulement après sa remise en liberté, ce dernier succombera à un cancer. Quant à Albert Woodfox, il est toujours détenu à l’isolement en Louisiane, bien que sa condamnation ait été cassée à trois reprises. Sa captivité dans de telles conditions – 42 ans – est un record de longévité.

Isolement

Un univers macabre sur lequel Robert King, de passage à Paris, est également revenu. Son expérience derrière les barreaux l’a profondément marqué. "Il y a forcément des séquelles", affirme-t-il pudiquement, face aux curieux réunis jeudi au siège d’Amnesty international – qui collabore avec la bande dessinée. L’ancien prisonnier évoque surtout les impacts psychologiques dus à son isolement. "Lorsque l’on est enfermé pendant si longtemps dans un espace si petit, notre vue est affectée, on ne voit plus à une certaine distance." Pour ne pas sombrer dans la démence, Robert King s’est accroché à son combat politique. "J’ai pu canaliser ma folie dans la bonne direction." Depuis sa sortie, il n’a pas abandonné la lutte, dénonce sans relâche le système carcéral "basé sur le racisme et la terreur".

Dans son combat, Robert King a trouvé un soutien parmi différents artistes, et salue notamment le travail de David Cenou. "Quand j’étais gamin, j’adorais les BD [….]. L’art et le militantisme vont main dans la main pour changer l’opinion public", indique-t-il.

David Cenou, lui, défend ses choix esthétiques. "J’ai voulu faire de belles images pour parler de choses dégueulasses", explique-t-il, tout en avouant ressentir une pointe de frustration. "Il aurait fallu un bon pavé pour raconter tout ça, mais on a fait au mieux", admet l’auteur, qui espère réaliser, un jour, une suite.