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Jean-Corentin Carré, enfant soldat et héros de la Grande Guerre

Durant la Première Guerre mondiale, des milliers d'enfants ont tenté de partir au front. Engagé à 15 ans après avoir menti sur son identité, le Breton Jean-Corentin Carré devint à l'époque le plus célèbre symbole de courage et de patriotisme.

"Je ne me suis pas engagé pour faire parler de moi, pour qu’on dise celui-là est un brave, je préfère rester inconnu et je ne cherche que ma satisfaction personnelle du devoir accompli. […] La vie en elle-même n’est rien si elle n’est pas bien remplie." C’est par ces mots écrits à son instituteur, alors qu’il était au front, que Jean-Corentin Carré a résumé modestement son envie d’être un "poilu". Ce jeune Breton ne recherchait pas la gloire, mais il a pourtant été érigé en héros après sa mort en 1918. Il faut dire que son parcours a de quoi susciter l’admiration. En réussissant à s’enrôler à seulement 15 ans, il est entré dans l’Histoire comme l’un des plus jeunes combattants français de la Première Guerre mondiale.

En 1914, lorsqu’éclate le conflit, Jean-Corentin Carré n’est qu’un enfant du Faouët, un petit village du Morbihan, dans le centre de la Bretagne. Né en 1900 dans une famille modeste de journalier agricole, il se démarque par son intelligence et son esprit débrouillard. "C’était un élève brillant pour l’époque. Il a eu son certificat d’études à 12 ans avec les félicitations du jury et a ensuite été employé chez le percepteur", raconte Pierre Palaric, le président de l’association Mémoire du pays du Faouët, dont le propre père a côtoyé Jean-Corentin dans la cour de l’école communale.

Lorsque le père de ce dernier est appelé à rejoindre le front, le fils veut aussi défendre sa patrie et en découdre avec les Allemands, mais il est alors beaucoup trop jeune. Sa demande d’engagement volontaire est refusée par le maire du village. Jean-Corentin Carré ne se laisse pas pour autant décourager. En avril 1915, il explique à sa famille qu’il veut embarquer pour l’Amérique du Sud, mais c’est en fait à Pau qu’il pose ses bagages. Toujours décidé à porter l’uniforme, il se présente au bureau de recrutement sous le faux nom d’Auguste Duthoy. Pour ne pas éveiller les soupçons, il déclare être né à Rumigny dans le département des Ardennes, alors occupé par l’armée allemande. Aucune vérification n’est donc possible. Malgré son visage enfantin, Jean-Corentin atteint son objectif. Il est incorporé au 410e Régiment d’infanterie à Rennes où il retrouve ses compatriotes bretons.

"Le produit d’une époque"

Comment expliquer qu’un enfant puisse avoir une telle rage d’en découdre ? Pour Pierre Palaric, le "petit gars du Faouët" a certes un caractère bien trempé, mais il est surtout le produit d’une époque. Après la défaite de 1871, l’école républicaine a entretenu le souvenir d’une France vaincue et humiliée : "Il y avait des bataillons scolaires. Il y avait aussi des livraisons de trois fusils par école, ainsi qu’une initiation à l’histoire géographie et à la morale. Ce n’était pas seulement au Faouët, mais dans toutes les écoles françaises. Son instituteur M. Mahébèze était un fervent patriote, et cela l’a peut-être influencé".

Comme dans ses cahiers d’écolier, Jean-Corentin Carré se démarque aussi très vite sur le front. Dans son carnet de route où il consigne son vécu dans les tranchées, dans le secteur du Mesnil-lès-Hurlus dans la Marne, il raconte ses premières reconnaissances en novembre 1915 : "Je sors tout seul, baïonnette au canon et cartouches dans les poches. Je traverse des tranchées démolies et pleines de cadavres que je suis obligé de piétiner. […] Je vois un Boche à cinquante mètres de moi courir dans la direction de ses lignes. Je tire, l’ombre continue à courir puis s’évanouit à mes yeux. […] Je rentre vivement et je vais rendre compte de ma mission au capitaine, qui me félicite." Remarqué par ses supérieurs, il est nommé caporal puis sergent. Il est même cité à l’ordre du corps d’armée et obtient la croix de guerre.

Mais quelques jours avant son 17e anniversaire, le poids de sa fausse identité lui pèse trop et il décide de révéler la supercherie à son colonel par une lettre : "Je vous écris pour vous demander s’il me serait possible ayant l’âge réglementaire de reprendre mon véritable nom. […] Je ne suis pas plus patriote qu’un autre, mais je considère qu’un Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’arrière".

Des tranchées au ciel

Grâce à la bienveillance de son officier supérieur, Jean-Corentin Carré réintègre l’armée en février 1917, sous son vrai nom, et il est même promu adjudant. Désormais aguerri au combat dans les tranchées, le Breton souhaite rejoindre la prestigieuse aviation. Le petit paysan du Morbihan obtient son brevet de pilotage. "On l’a autorisé à entrer dans l’aviation comme récompense pour ses actions d’éclat. Il s’était fait remarquer en se portant toujours volontaire. Il a dû prendre le goût de l’aviation en voyant les combats aériens au-dessus de sa tête. Cela correspondait à ce qu’il voulait, prendre des risques mais pour lui seul. Il le disait, il voulait 'semer l’effroi et la terreur chez les boches'", estime Pierre Palaric.

Mais le quotidien d’un pilote est encore plus dangereux que celui d’un "simple trouffion". La durée de vie des pilotes est à ce moment de seulement trois mois. Affecté à un avion d’observation Jean-Corentin Carré ne déroge pas à cette funèbre règle et périt lors d’une mission en 1918. "Adjudant Carré Jean-Corentin, du 410e régiment d'infanterie, pilote à l'escadrille SO 229 attaqué par trois avions ennemis, le 18 mars, s'est défendu énergiquement jusqu'à ce que son appareil soit abattu, l'entraînant dans une mort glorieuse", résume sa troisième et ultime citation.
Un héros national
En quelques mois, le petit écolier du Faouët devient un héros en Bretagne et dans toute la France. Deux biographies lui sont consacrées. À la demande du ministère de l’Instruction publique, une affiche est même réalisée en 1919 pour célébrer sa gloire dans les salles de classe. "Cette figure de l’enfant-héros avait déjà été utilisée pendant la guerre avec des livres d’images. Le but du gouvernement, ce n’était pas que tous les enfants fuguent pour rejoindre le front, mais que chacun reste à sa place. La propagande de guerre va exploiter quelques figures d’enfant-héros pour dire : ‘Vous êtes un peuple intrinsèquement héroïque, vous les enfants de France. Mais votre héroïsme à vous, il faut le mettre en application à votre place, c’est-à-dire à l’arrière, en étant de bons élèves, de bons fils, de bonne fille", explique Manon Pignot, auteur de l’enfant-soldat XIX-XXIe siècle.
Comme l'atteste cette historienne dans son ouvrage, l’histoire de Jean-Corentin Carré n’est pas unique. Quelques milliers d’enfants-soldats ont tenté de participer aux combats. Parmi toutes les armées des pays belligérants, des exemples sont restés célèbres. En Grande-Bretagne, Jack Cornwell est devenu une figure historique après avoir été tué à seulement 16 ans, alors qu’il avait été embarqué contre l’avis de ses parents dans la Royal Navy. Le soldat du Faouët n’est pas non plus le plus jeune : "Il y avait un petit Italien naturalisé français Désiré Bianco, qui s’est engagé dans l’infanterie coloniale et qui est mort aux Dardanelles à 13 ans".
"Des adolescents combattants"

Pour Manon Pignot, maître de conférences à l'université de Picardie-Jules Verne, le parcours de Jean-Corentin Carré est avant tout exceptionnel en raison des documents qu’il a laissés. "On sait beaucoup de choses sur lui alors que la très grande majorité des adolescents combattants se sont perdus dans la masse. Ils ne sont pas dans les archives car ils ont menti sur leur âge et sur leurs noms. Je préfère parler d’adolescents combattants plutôt que d’enfants soldats car justement c’est parce qu’ils ne sont plus des enfants qu’ils arrivent à s’engager. S’ils avaient l’air d’être des enfants, ils ne seraient jamais arrivés jusqu’au front, insiste l’historienne spécialiste de la Grande Guerre. La présence de ces jeunes soldats étonnent beaucoup plus les gens aujourd’hui que cela devait étonner à l’époque. Il ne faut pas oublier que lors de la guerre 14, les adolescents de 14-15 ans travaillaient déjà. L’école n’était obligatoire que jusqu’à 13 ans. La proximité entre les hommes et les adolescents était quelque chose de banal".

Presque 100 ans après son engagement, Jean-Corentin Carré incarne à lui seul la mémoire de ces "adolescents combattants". Au Faouët, une poignée d’habitants continuent d’entretenir son souvenir. Baigné depuis son enfance par les récits de la bravoure du petit Breton, Pierre Palaric veille sur le monument érigé en 1939 en l’honneur du jeune poilu et raconte inlassablement son histoire auprès des élèves d’aujourd’hui : "Je trouve qu’il a une certaine forme de candeur. Il croyait qu’il allait ramener les 'boches' chez eux. On retrouve cette candeur dans les maquis de 1943/1944. Ce n’étaient pas des gens imbus de leur personne, mais ils pensaient qu’ils pouvaient apporter quelque chose".
 

Une chronique historique de France Bleu Armorique sur Jean-Corentin Carré

Jean Corentin Carré l'enfant soldat de la Guerre 14-18 from Musée de Bretagne on Vimeo.

- Jean-Corentin Carré, l'enfant-soldat, Liv'Éditions, ouvrage collectif de Mémoire du canton du Faouët, 2008

- L'enfant-soldat, Manon Pignot, Armand Colin, 2012