Critiquée par la presse allemande, la proximité entre Gerhard Schröder et Vladimir Poutine n’en finit pas d’embarrasser Berlin. Mais l’ancien chancelier allemand n’est pas le seul soutien dont l’homme fort du Kremlin peut se prévaloir en Occident.
Du plus mauvais effet en ces temps de crise en Ukraine, où des séparatistes pro-russes détiennent plusieurs membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). La chaleureuse accolade donnée devant les objectifs des photographes par Gerhard Schröder au président russe, Vladimir Poutine, à l’occasion de la fête d’anniversaire de l’ex-chancelier allemand, lundi 28 avril dans un restaurant de Saint-Pétersbourg, a fait grincer des dents à Berlin.
Largement diffusée dans la presse allemande, la photo de ces embrassades, qui, aux yeux de l’hebdomadaire Der Spiegel, "ridiculise la politique étrangère allemande", a même poussé le gouvernement fédéral à prendre officiellement ses distances avec l’ancien patron du SPD. "Il est clair qu'il n'est plus actif politiquement depuis un certain temps", a ainsi affirmé à l'AFP un responsable gouvernemental.
La sympathie que Gerhard Schröder éprouve à l’égard de l’homme fort du Kremlin n’a cependant rien d’un scoop. En 2004 déjà, le dirigeant social-démocrate se disait "convaincu" que Vladimir Poutine était un démocrate. Reconverti dans les affaires après sa défaite électorale en 2005, l’ancien chancelier occupe aujourd’hui la présidence du conseil de surveillance de North Stream, filiale du géant russe Gazprom qui détient le gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne. Un poste confortablement rémunéré (250 000 euros par an, rappelle Le Point), qui l’amène régulièrement à s’afficher publiquement aux côtés du leader russe.
Sûrement est-ce au nom de cette longue amitié que Gerhard Schröder n’a pas hésité, le mois dernier, à comparer l’intervention russe en Crimée à celle de l’Otan au Kosovo en 1999. Ou de se déclarer publiquement hostile aux mesures de rétorsion infligées à Moscou.
"Ce n’est plus la même Russie que sous l’ère communiste"
Dans les autres pays membres de l’Otan, si aucun homme politique n’a encore invité Vladimir Poutine à venir couper son gâteau d’anniversaire, quelques voix s’élèvent pour défendre la position de Moscou dans la crise ukrainienne. Aux États-Unis, les tenants de la ligne pro-russe sont certes marginaux mais leur admiration pour la Russie de Vladimir Poutine semble indéfectible.
Rare député à s’être opposé à des sanctions après l’annexion de la Crimée, le républicain Dana Rohrabacher veut croire que Washington a la volonté de “tenir la Russie en échec et [de] la précipiter dans un gouffre”. Une attitude d’autant plus regrettable, selon lui, qu’"il y a eu, en Russie, d’importantes réformes que mes collègues ne veulent pas voir, a-t-il affirmé à la presse américaine. Les bancs des églises sont remplis, des journaux d’opposition sont disponibles dans tous les kiosques, les gens peuvent manifester… Ce n’est plus la même Russie que sous l’ère communiste mais visiblement beaucoup de personnes ont encore du mal à réaliser que l’URSS a bien éclaté. "
En France, les défenseurs de Vladimir Poutine sont également minoritaires mais comptent dans leur rang davantage de responsables politiques de premier plan. Parmi les soutiens de la première heure figure Marine Le Pen. Que ce soit sur le dossier syrien, les droits des homosexuels et, aujourd’hui, la crise ukrainienne, la patronne du Front national (FN) n’a jamais lâché le numéro un russe. Une loyauté qui lui a d’ailleurs valu d’être accueillie avec les honneurs à Moscou en juin 2013.
De fait, le conservatisme et le nationalisme de cet homme à poigne qu’est Vladimir Poutine est loin de rebuter l’extrême droite française. Depuis le début des événements en Ukraine, nombre de groupuscules de la droite nationaliste radicale comme Troisième voix ou le Groupe union défense (Gud) ont ouvertement apporté leur soutien au Kremlin qui, pourtant, n’a de cesse de fustiger les "fascistes", "néo-nazis" et "antisémites" de la place Maïdan.
"La haine de l’Amérique"
Comment expliquer un tel emballement vis-à-vis de ce que ces mouvements désignent eux-mêmes comme la "cause russe" ? "Qu’est-ce qui les rassemble ? L’amour de la Russie ? Leur passion pour Tolstoï, Dostoïevski ou Tchekhov ? Leur engouement pour les chansons russes ? Leur frénésie amoureuse pour les forêts de bouleaux ? Non, il s’agit d’autre chose : de la haine de l’Amérique, écrit sur le site Atlantico l’historien Benoît Rayski. Une haine chevillée au corps et à l’âme. Elle s’inscrit dans une configuration où les États-Unis représentent le diable : l’argent, Wall Street, la puissance destructrice de l’américanisation des esprits, la réussite économique. En un mot, tout ce qui peut détruire, ‘vassaliser’ disent-ils, l’identité même de la nation française."
Même si on peut difficilement lui reprocher d’être un admirateur béat de Vladimir Poutine et, encore moins, un indécrottable nationaliste, Jean-Luc Mélenchon voit lui aussi la main des États-Unis derrière le coup de force des "national-socialistes" - c’est-à-dire des "nazis" - qui ont renversé Viktor Ianoukovitch. "La nation russe ne peut admettre que les Nord-Américains et l'Otan s'installent à leurs portes", a commenté le co-président du Parti de gauche.
Mais les défenseurs de la position russe ne se situent pas, en France, uniquement aux extrêmes. Loin de cet anti-américanisme qui anime ces dernières, plusieurs personnalités politiques s’affirmant atlantistes refusent eux aussi de rejoindre le concert de condamnations visant Moscou. À l’UMP, le souverainiste et conservateur Thierry Mariani, député d’une circonscription des Français de l'étranger, a plusieurs fois volé au secours de la Russie. Dans une tribune publiée dans "Le Figaro", l’élu s’est ouvertement élevé contre l’approche manichéenne de l’Occident sur le dossier ukrainien. "La vertueuse indignation des partisans de l'Europe à tout prix les conduit ainsi à cautionner des mouvements politiques, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils sont bien éloignés de l'idéal d'une démocratie moderne", affirme-t-il.
De son côté, François Fillon affirme à l’envi que les Russes ne sont pas les seuls "fauteurs de troubles" en Ukraine. En réalité, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy n’a jamais fait mystère de ses accointances avec Vladimir Poutine. Le député UMP de Paris affirme avoir appris à connaître le dirigeant russe lorsqu’ils étaient tous deux Premiers ministres. Depuis les deux hommes se tutoient. En 2013, François Fillon avait été accueilli par Vladimir Poutine en Russie où il avait publiquement critiqué les velléités françaises d’intervention en Syrie. Osera-t-il un jour inviter le président russe à venir souffler ses bougies d’anniversaire ?