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Égalité des sexes : "L’Algérie se cherche toujours" (1/2)

envoyée spéciale en Algérie – Alors que les Algériennes tendent à s’émanciper par le travail, la société peine à leur accorder les mêmes droits qu’aux hommes. Un écueil hérité de des années 90, la décennie noire. Portraits croisés (1/2).

Elles font vivre l’Algérie. Pompistes, serveuses, médecins, magistrats…ces dix dernières années, les Algériennes se sont progressivement imposées sur le marché du travail. D’après l’Office national des statistiques, le taux d’activité des femmes a crû de 37 % entre 2000 et 2014. Elles représentent désormais 16,6 % de la population active.

Pourtant, les Algériennes peinent à faire évoluer les mentalités. Bien que l'article 29 de la Constitution  affirme que les citoyens sont égaux "sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion", l'Assemblée populaire nationale (APN) a adopté, en 1984, un code de la famille qui fait de la femme une mineure à vie.

Puis dans les années 90 c'est la montée de l'islamisme. En 1992, après l’arrêt du processus électoral remporté par le Front islamique du salut et l’interdiction du parti, l’Algérie bascule dans le terrorisme. Surnommée "la décennie noire", la période est marquée par la sanglante confrontation de l’État algérien avec les groupes islamistes armés.

FRANCE 24 a rencontré quatre femmes de la société civile qui se battent pour faire évoluer les mentalités. À travers leurs parcours, elles illustrent une Algérie en mouvement, toujours en quête de plus d’égalité.

Yasmina Taya, 64 ans, consultante et présidente d’honneur de la Seve

À 64 ans, Yasmina Taya a vécu plusieurs vies. Après avoir fondé avec son mari une entreprise de boissons gazeuses en 1978, c’est seule qu’elle se lance dans l’exportation de la pêche de lac huit ans plus tard. "Il fallait oser. Non seulement j’étais une femme dans le secteur de la pêche mais en plus j’exportais, raconte-t-elle. À l’époque, vendre quelque chose à des pays à l’extérieur était presque considéré comme une trahison". Mais la jeune femme s’accroche. Et s’impose. Yasmina devient alors la première femme à prendre la tête d’une fédération professionnelle, celle de la pêche en lac. La mère de famille voyage partout dans le pays. "La première fois que j’ai franchi le seuil d’un hôtel, le réceptionniste a tout fait pour me dissuader de prendre une chambre. Il m’a demandé de payer en liquide, de verser une caution… Même dans ce palace, une femme seule était mal vue. Mais je ne suis pas partie".

Yasmina commence alors à militer pour que "la société algérienne ne soit pas amputée de la moitié de sa richesse". En 1993, elle décide de promouvoir les femmes chefs d’entreprise en créant l’association Seve, Savoir et vouloir entreprendre. Son but ? Aller voir les femmes et les inciter à fonder leur propre entreprise. "Ce n’était pas une période facile. C’était un acte de courage en cette période de terrorisme et nous avons d’ailleurs toutes été condamnées à mort par le Groupe islamiste armé", souligne la consultante. Mais qu’importe. Aujourd’hui, l’association compte 200 adhérentes. Ces chefs d’entreprise représentent tous les corps de métier, y compris ceux habituellement associés aux hommes comme les pièces détachées. "Nous visitons les régions en ciblant tout particulièrement les universités en fin de cycle. Paradoxalement, les étudiantes sont plus difficiles à convaincre que les femmes ayant un savoir-faire dans le monde rural".

Le virus des affaires, Yasmina Taya l’a transmis à ses deux filles. Et, même si l’époque a changé, les mentalités n’ont, elles, pas évolué. "La première fois que ma fille architecte a mis les pieds sur un chantier de construction, elle a été sifflée, raconte-t-elle. Il lui a fallu faire ses preuves, mais lorsqu’on s’est rendu compte de ses compétences, elle a été respectée". Le travail a libéré la femme en lui apportant une autonomie financière mais il faut désormais lui accorder le même statut.

Nawel Boudjeltia, 46 ans, chef d’entreprise

Nawel Boudjeltia fait partie des jeunes pousses de la Seve. Cette Algéroise de 46 ans, originaire de Chlef, à 200 km au sud-ouest d'Alger, a créé son entreprise de communication et conception graphique en 2010. Pourtant, rien ne la prédestinait à embrasser cette carrière. "J’ai commencé des études à l’Institut national de l’agronomie mais j’ai dû arrêter pendant la décennie noire". La jeune femme se tourne alors vers le secteur bancaire. "Je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme problème de communication au sein de la banque et que tout était à faire".

La jeune femme décide de démissionner et d’ajouter quelques cordes à son arc avant de s’engouffrer sur cette voie. "Je me suis mise à l’informatique et à l’anglais. Ce n’était pas facile de jongler avec les études et la vie de famille car à l’époque mes trois enfants étaient en bas-âge". En 2006, Nawel passe avec brio son DESS de communication. C’est alors qu’elle a le déclic et refuse une proposition d’embauche pour se mettre à son compte. "J’avais peur mais je ne supportais plus d’être salariée. Je ne voulais plus subir la hiérarchie".

À l’époque, sa démarche n’est pas au goût de tout le monde. Alors que son mari est réticent à la voir se lancer dans les affaires, le père de Nawel lui offre un soutien inconditionnel. "Il m’a toujours encouragée dans tous les domaines, souligne-t-elle. Désormais patronne d’un salarié, Nawel n’a "aucun regret même si c’est dur. La concurrence est féroce mais on y arrive quand même".

Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Nawel veut revenir à ses premières amours : la terre. D’ici 2015, elle devrait donc se lancer dans la production d’aliments pour bétail et engraissement à Ghardaïa.

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