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, à Rabat (Maroc) – L'institut Al Mowafaqa de Rabat dispense une licence de théologie commune à des protestants et des catholiques et les sensibilise à la connaissance de l'islam. Une expérience unique visant à mieux intégrer les chrétiens africains au Maroc.

Depuis le minaret de la mosquée Molina, au centre-ville de Rabat, le muezzin appelle à la deuxième prière de la journée. À quelques centaines de mètres, aux abords de la cathédrale de la capitale marocaine, une cinquantaine d’étudiants, dont la moitié est catholique, l'autre protestante, suivent, imperturbables, un cours sur l’interprétation du "Nouveau testament". Bienvenue à l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa, ("l'accord" en arabe).

Depuis un peu plus d’un an, l'institut Al Mowafaqa se veut le laboratoire d’un dialogue entre chrétiens et musulmans. Son but : former du personnel pour encadrer le renouveau du christianisme au Maroc. Car depuis les années 2000, l'afflux de migrants subsahariens au royaume chérifien, venus pour s'établir ou tenter de rejoindre l'Europe, a permis de rouvrir des temples protestants et des églises catholiques tombés en déshérence depuis la fin de la période coloniale.

Pour ces quelques dizaines de milliers de migrants, confrontés au racisme et aux violences policières au Maroc ou aux échecs répétés de leurs tentatives de rejoindre l’Europe, les églises chrétiennes deviennent vite des lieux de réconfort. "La question spirituelle est leur seule échappatoire. Un africain au Maroc ne peut pas séparer sa foi de son expérience d'immigration" assure Samuel Amedro, président de l'Église évangélique au Maroc.

Jusqu’à susciter des vocations. Ainsi, Jean, arrivé au Maroc en 2004 après avoir fui la République démocratique du Congo s’est inscrit à l’institut dans le but de devenir pasteur à la suite de sa régularisation en 2010. S'il y parvient, il pourra faire valoir un bagage un peu spécial : en plus de dispenser les matières classiques d'un cursus de théologie, l'institut Al Mowafaqa a élaboré un programme "adapté à la situation d'une minorité chrétienne dans un pays musulman du Maghreb".

Entre Europe et Afrique

"Nous voulons que nos étudiants aient des connaissances sur l'islam et la spiritualité en Afrique, ce que ne proposent pas les formations en théologie d'Europe ou d'Afrique", explique le directeur d'Al Mowafaqa, le pasteur Bernard Coyault. La licence comprend ainsi des cours d'arabe classique, d'exégèse du Coran ou d'histoire des relations islamo-chrétiennes. "Tous les pays d'Afrique sont confrontés au défi du vivre ensemble entre christianisme et islam, la situation en Centrafrique l'illustre bien en ce moment" ajoute le directeur.

Au-delà des aspects religieux, la formation se veut aussi tournée vers deux continents, Europe et Afrique, représentés paritairement dans le conseil scientifique ou dans le choix des enseignants délégués, à nombre égal d'hommes et de femmes, de protestants et de catholiques. Al Mowafaqa voudrait également obtenir la parité géographique dans son budget (300 000 euros), qui repose pour l'instant majoritairement sur les financements d'organisations chrétiennes européennes.

Parmi la cinquantaine d’étudiants recrutés tous les quatre ans, une douzaine de place vont "au cœur de cible", les étudiants de la zone subsaharienne appelés à encadrer les migrants d'Afrique noire au Maroc. C'est le cas de Jirauve et Maximilien. Venus de Brazzaville et Kinshasa, ils ont d'abord travaillé comme ingénieurs au Maroc puis sont devenus pasteurs-stagiaires. Ou du Guinéen Joseph, qui hésite encore à devenir pasteur ou à poursuivre ses études de théologie. Il vient de diriger le "moment de recueillement" sur lequel s’ouvre chaque journée et au cours duquel les élèves prient et chantent ensemble quelque soit leur confession. Les autres étudiants sont pour la plupart des Européens vivant au Maroc, aux motivations variées. Corinne, une catholique française ancienne prof d'espagnol, s'est ainsi "découvert l'envie de s'impliquer dans le dialogue entre catholiques et musulmans".

Aucun étudiant marocain admis

Reste que, côté catholique, les débouchés sont moins immédiats que pour les protestants : "Pour devenir prêtre, la licence de théologie ne suffit pas, il faut passer par un séminaire", explique la secrétaire académique, Sœur Pascale Bonef. Ce que n'exclut pas Romain, un jeune Français, qui avait monté une entreprise de menuiserie à Marrakech, mais a "ressenti un appel" et veut s'engager dans l'Église après sa formation.

Si les fois divergent, les liens qui se nouent n’en sont pas moins forts. "Ce n'est pas une vie monastique ici, on est connecté au monde !" plaisante un étudiant catholique, en plein débat sur l'actualité ukrainienne avec ses camarades. "Cette formation balaie des préjugés. Petite, je pensais qu'il était normal de ne pas jouer avec des catholiques. Or je me rends compte qu'on se pose les mêmes questions", souligne Miora, pasteur stagiaire malgache à Agadir. "Être chrétien en terre d'islam crée des liens entre nous", ajoute Romain, mais aussi avec la religion musulmane. "Quand le muezzin appelle à prier Allah, il nous appelle aussi quelque part à prier Dieu".

Pour son développement et son recrutement, Al Mowafaqa peut compter sur la bienveillance des autorités marocaines. Soucieux de promouvoir l'image d'un pays musulman tolérant et ouvert, le royaume chérifien n'a mis aucun obstacle à la création de l'institut, mais une seule condition : qu'aucun étudiant marocain ne soit admis. Dans un pays où l'on naît musulman, les Marocains qui se disent chrétiens sont mal vus, voire persécutés. Leurs estimations varient d'un millier à plusieurs dizaines de milliers. "J'espère que nous pourrons faire évoluer cette position à terme, il n'est pas question de prosélytisme mais de s'enrichir mutuellement", assure le directeur d'Al Mowafaqa.

De nouvelles formations sont en préparation et le complexe accueillera bientôt des résidences d'artistes sous la houlette d'une plasticienne juive marocaine. Histoire d'enrichir encore le dialogue.

La direction de l’Institut al Mowafaqa souhaite apporter la précision suivante : "Il existe une différence entre des migrants venus illégalement au Maroc dans le but de passer en Europe, et des migrants qui sont venus faire leurs études au Maroc ou s’y sont installés pour travailler, ce qui est le cas des étudiants de l’institut."