La flamme du souvenir, allumée début janvier à Kigali pour commémorer les 20 ans du génocide rwandais, parcourt les lieux marquants du drame qui a débuté le 7 avril 1994 et qui a fait 800 000 morts en cent jours. Arrêt à Rubavu, à mi-parcours.
Le pas précautionneux et le regard solennel, Josué et Sharon traversent la foule, portant à quatre mains la "flamme du souvenir" qui parcourt le Rwanda pendant trois mois à l'occasion du vingtième anniversaire du génocide. Le 20 février, la flamme est accueillie par des chants et des poèmes à Rubavu, petite ville de l’ancienne préfecture de Gisenyi, à la frontière avec la République démocratique du Congo.
Vêtus de l’Umushanana, l’habit traditionnel réservé aux grandes occasions, Josué et Sharon déposent la flamme dans l’amphore du mémorial local. Les deux jeunes gens, nés en 1994, incarnent l’avenir du pays. "Après le génocide, nous étions dans les ténèbres. Alors recevoir cette flamme, c’est recevoir la lumière pour des lendemains meilleurs", confie Josue Mutuyimana au micro de FRANCE 24.
Transportée dans une simple lampe, la flamme est partie du mémorial de Gisozin, à Kigali, le 7 janvier et doit allumer le feu des mémoriaux dans trente lieux symboliques du massacre des Tutsi. À Rubavu, comme à chacune de ses étapes, le feu du souvenir fait émerger la parole.
"Le Tutsi pensait qu'il serait sauvé"
Innocent Kabanda se souvient du 7 avril 1994 comme si c'était hier. Il a vu "un groupe de gens" qu’il ne connaissait pas débarquer chez lui et emmener son père "à la commune". Soi-disant. II n’a jamais revu son père, pas plus que son frère. Rescapé du génocide qui a fait 800 000 morts en cent jours au Rwanda, Innocent raconte son histoire devant une centaine de personnes réunies à côté du mémorial de Rubavu.
Comme tant d’autres, le père d’Innocent a été trompé par les milices hutus interhamwe qui prétendaient emmener les Tutsis dans les bureaux communaux de Rubavu pour les protéger des massacres. Ils étaient en fait exécutés puis jetés dans la fosse commune du cimetière de la ville qui a aujourd’hui pris le nom de "Commune rouge". "Rouge", comme le sang versé des 5 000 victimes qui y reposent aujourd’hui.
L'un des Hutus qui a participé à la tuerie revient sur cet événement tragique : "Le Tutsi pensait qu'il serait sauvé par le maire. En fait, on l'a amené ici [au cimetière, NDLR], pas chez le maire. Il s'est alors rendu compte qu'il y avait plein de sang et plein de cadavres. Il a dit : ‘je pensais que vous m'ameniez à la commune mais c'est la commune rouge !" explique à FRANCE 24 Ibrahim Ndayambaje, qui a participé au génocide.
La flamme, symbole de résilience et de courage
En d’autres temps, cet ancien milicien hutu n’aurait pas forcément osé témoigner. Mais pour le vingtième anniversaire du génocide, le Rwanda se place sous le signe de la reconstruction. En guise de symbole, une flamme du souvenir ou "flamme Kwibuka", qui représente, selon les organisateurs du parcours, "la résilience et le courage des Rwandais pendant ces vingt dernières années".
Comme Sharon et Josué, d’autres vingtenaires rwandais vont se relayer pour porter la flamme Kwibuka à travers le pays des mille collines, de mémorial en mémorial, faisant émerger les souvenirs et les témoignages, avant son retour à Kigali, le 7 avril. Paul Kagame présidera alors dans la capitale la cérémonie d’ouverture de la période de deuil national.