Le rachat par Facebook, mercredi, de l’application WhatsApp a frappé les esprits par son montant : 19 milliards de dollars. Mais c’est aussi un signe que le géant américain cherche à se constituer un empire qui ne dépend pas de son réseau social.
Pouvoir envoyer des messages instantanés à travers le monde pour presque rien depuis son smartphone vaut 19 milliards de dollars (13,86 milliards d'euros). C’est en tout cas l’avis de Facebook qui a mis, mercredi 19 février, cette somme sur la table pour racheter WhatsApp, le leader mondial de la messagerie instantanée.
Cette somme peut sembler démesurée pour une application qui n’existe que depuis 2009. Mais Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, juge que les 450 millions d’utilisateurs mensuels actifs de cette très populaire application valent bien une telle débauche d’argent. “Ça doit leur permettre d’atteindre leur objectif annoncé de trois milliards d’utilisateurs de leurs services”, note Sotiros Paroutis, professeur associé en stratégie de management à la Warwick Business School
La presse spécialisée et les marchés financiers sont moins convaincus de la pertinence de l’acquisition. Ils rappellent que Facebook a dépensé une somme record pour une application qui génère moins de 450 millions de dollars de chiffre d’affaires par an (la première année est gratuite et l’abonnement coûte ensuite 0,99 dollars par an). Conséquence : l’action de Facebook chutait de plus de 2% dans les transactions électroniques après la clôture de la bourse, mercredi 19 février.
L’éternelle jeunesse
Un autre point peut aussi étonner. WhatsApp continuera à exister en tant qu’application autonome et ne s’intègre pas au modèle économique de Facebook. Son fondateur, Jan Koum est un farouche opposant à la monétisation par la publicité. Cette vision va à l’encontre du fonds de commerce actuel du roi des réseaux sociaux. Pourtant Mark Zuckerberg a confirmé, mercredi, ne pas prévoir de faire de la pub sur WhatsApp.
En clair, à part le vague but commun de “connecter les internautes à travers le monde” (mais c’est aussi le cas de centaines d’autres services sur le Net) souligné par Mark Zuckerberg, WhatsApp n’apporte rien directement au site Facebook ou à sa rentabilité. L’application vient, en outre, faire de la concurrence à Facebook Messenger, un service maison remplissant peu ou prou le même rôle.
Cette acquisition ne servirait donc qu’à gonfler les statistiques ? Elle s’explique, en fait, surtout par une stratégie de diversification débutée il y a deux ans. L’acquisition de WhatsApp suit la même logique que celle d’Instagram en 2012. “Facebook avait déjà permis à Instagram de rester autonome, une approche qui s’est révélée payante pour la croissance du service”, confirme Sotiros Paroutis.
Comme WhatsApp, la plateforme de partage de photos avait été achetée pour tenter d’offrir à l’empire Facebook une sorte de jeunesse éternelle qui passerait par le mobile. Facebook a du mal à séduire les adolescents et Instagram était, en 2011, très populaire auprès de cette tranche d’âge. WhatsApp l’est aussi aujourd’hui. Les deux applications sont des succès sur les smartphones, une plateforme sur laquelle le roi des réseaux sociaux est beaucoup moins dominant que sur le Web et le PC.
Mini-empire d’applications
Les 19 milliards de dollars dépensés constituent donc un pari sur le futur. Facebook prépare l’après-Facebook. “C’est en effet une manière de dire que Facebook est en train de devenir plus qu’un site où les gens se rencontrent”, confirme Philippe Torres, le directeur conseil et stratégie digitale de l'Atelier, la cellule de veille technologique de la banque BNP Paribas.
Certes, le roi des réseaux sociaux reste, avec 1,2 milliard d’utilisateurs, la référence incontestée dans le secteur. Mais la croissance des nouveaux inscrits ralentit. Les internautes cherchent des moyens plus neufs pour communiquer entre eux. En rachetant WhatsApp, Facebook “démontre aux utilisateurs qu’il est capable de rafraîchir son offre même si ce qu’il propose ne fait pas partie de son cœur de métier”, souligne Sotiros Paroutis.
C’est aussi une réponse aux investisseurs éventuellement inquiets que la machine Facebook se grippe. Mark Zuckerberg leur explique qu’il est en train de construire une sorte de marque qui, demain, ne se résumera pas seulement à un réseau social et ne fera pas que de la pub. “Il leur montre qu’il est plus rapide que ses concurrents pour repérer et acquérir les entreprises à fort potentiel de croissance”, précise Sotiros Paroutis. “C’est une manière de consolider Facebook comme un géant médiatique digitale présent sur tous les fronts de la communication, afin de faire un maximum d’audience qu’il est ensuite possible de monétiser de différentes manières”, rajoute Philippe Torres.
Le tableau qui se dessine au siège de Facebook est celui d’une entreprise à deux têtes complémentaires : un réseau social dominant sur le web et les PC et un mini-empire d’applications à succès sur mobile. Pour Sotiros Paroutis “WhatsApp participe à la volonté de Mark Zuckerberg de faire de Facebook une entreprise vraiment mobile”.
Cette volonté de se réinventer est, en outre, à la mode chez les géants du Web. “Google est un exemple parfait d’entreprise qui est en train de construire une offre de services qui gravitent autour de son cœur de métier tout en étant indépendants”, souligne Sotiros Paroutis. Le roi des moteurs de recherche dépense actuellement à tout va pour se préparer à l’avenir. Il a racheté dernièrement pour un montant inconnu Boston Dynamics, un spécialiste de la robotique militaire, et Nest (pour 3,2 milliards de dollars), un constructeur de thermostat intelligent.
Cette acquisition résonne donc comme un aveu. Facebook reconnaît qu’aucune marque, aussi puissante soit-elle, n’est éternelle et qu’il vaut mieux dépenser l’argent pour se réinventer quand on est encore au zénith de sa gloire.