Jusqu'alors bienveillant avec son sujet, le réalisateur danois durcit le ton dans le second volet de "Nymphomaniac", en salles mercredi. Mais à vouloir absolument faire preuve d'audace, le cinéaste finit par susciter l'ennui.
Nous avions quitté "Nymphomaniac, volume 1" avec le pressentiment que le second volet du récit des aventures sexuelles de Joe se montrerait bien moins prévenant avec son sujet et ses spectateurs. Connaissant l’appétence de Lars von Trier pour la provocation, nous soupçonnions la première partie - étonnamment pondérée - de n’être qu’un anesthésiant administré avant un pénible traitement de choc. L’expérience nous prouve que l’on peut se fier à nos intuitions.
Mais ne soyons pas rosse : "Nymphomaniac, volume 2" commence plutôt bien puisqu'il perpétue le ton faussement doucereux de la partie précédente. Joe est encore une jeune adulte (Stacy Martin) qui, après des années d’errance physique, essaie de filer le parfait amour avec Jérôme (Shia LaBeouf). Le couple est même attendrissant. Qu’il s’adonne à de salaces défis dans un restaurant ou qu’il s’interroge, comme tant d’autres, sur sa pérennité. Car partager la vie d’une nymphomane n’est pas de tout repos. "Quand on achète un tigre, il faut savoir le nourrir", assène un jour le délicat Jérôme à sa dulcinée à qui il autorise des escapades extra-conjugales.
C’est alors que l'affaire se gâte. Entre-temps devenue mère, Joe (alors sous les traits de Charlotte Gainsbourg) profite du blanc-seing de son compagnon pour se jeter à corps perdu dans sa soif de sexe, au détriment, bien sûr, de ses obligations maternelles. L’occasion pour Lars von Trier de nous sortir le catalogue des pratiques, déviances ou pathologies sexuelles qu’il avait jusqu’alors passé sous silence.
Pensum gentiment porno
Las, ce qui aurait pu être un sulfureux et subversif geste tourne à l’assommant pensum gentiment pornographique. À se demander qui de Joe ou du spectateur souffre le plus de séances sado-masochistes dispensées par le nonchalant maître-fouetteur appelé K (incarné par Jamie Bell, que l’on a connu plus sage dans le rôle de Billy Elliot).
Et lorsque le film nous extirpe de l’ennui, c’est pour mieux nous plonger dans l’embarras. Comme avec ce ridicule interrogatoire permettant à Joe de démasquer un pédophile qui s’ignore (Jean-Marc Barr). Plus gênant encore, cette simili-farce sexuée dans laquelle deux Africains, apparemment incapables de comprendre l’anglais même le plus basique, se montrent incapables de réaliser le douteux fantasme de l’héroïne.
En fait, Lars von Trier n’est pertinent que lorsqu’il se moque de son film et de ses personnages. Notamment, lorsqu’il fait dire à Joe que les digressions wikipédiesques de Seligman (Stellan Skarsgard), le vieux célibataire érudit et asexué à qui elle raconte ses exploits passés, ne sont pas toutes des plus judicieuses. En clair, nous indique le cinéaste, les errances de l'esprit ne sont pas plus nobles que celles du corps.
Mais le principal problème de "Nymphomaniac, volume 2" réside en ce que le réalisateur danois fait dire à son personnage à peu près tout et n’importe quoi. Les contradictions qui animent Joe auraient pu offrir davantage d’ampleur à son profil psychologique si elles ne trahissaient pas la volonté du cinéaste de régler quelques comptes personnels. Pourquoi, par exemple, lui faire prendre position en faveur de l’utilisation du mot "nègre" ou la faire disserter - énorme tabou - sur le "mérite" des pédophiles ne passant jamais à l’acte ?
Cette manière de confisquer le sujet brouille régulièrement la lecture du film. Qu’est-ce qu’au final les confidences de la nymphomane Joe au chaste Seligman nous apprennent-elles sur la recherche effrénée du plaisir, sur le rapport du corps au sexe, sur le rapport du sexe à l’esprit ? Que la chair est triste, soit. Que l’âme l’est tout autant, soit. Point de salut donc chez Lars von Trier. Une noirceur qu’il pousse à l’extrême en réservant un sort injustement pathétique à ses deux personnages. Fin cruelle renforçant l’impression qu’avec son diptyque "Nymphomaniac", Lars von Trier avait davantage quelque chose à nous prouver qu’à nous dire.