Pour protester contre le projet de loi du gouvernement espagnol visant à restreindre le droit à l’avortement, des féministes espagnoles ont symboliquement demandé l’asile à la France. Reportage.
"L’interruption volontaire de grossesse est un droit en Espagne. Je l’ai obtenu et cinq ans plus tard, on me le retire ? Franchement je n’arrive pas à y croire !" Natalia, 25 ans, assistante médicale, a revêtu sa blouse blanche comme la plupart des manifestants. Elle attend patiemment son tour pour entrer dans l’ambassade de France à Madrid afin d’y remettre un formulaire de "demande d’asile sanitaire et juridique".
Une centaine de professionnels espagnols de la santé, pour la plupart travaillant dans des cliniques abortives, ont ainsi répondu à l’appel de la plateforme féministe "Decidir nos hace libre" ("Décider nous rend libre") et ont symboliquement demandé l’asile à la France jeudi 23 janvier. "Si l’avant-projet de loi du gouvernement Rajoy est voté tel quel, ce texte va mettre tous les professionnels qui pratiquent l’avortement dans une insécurité juridique intenable, d’où cette demande d’accueil symbolique en France", explique Ampar Pineda.
"La loi du gouvernement Rajoy est un retour en arrière"
Ampar a le visage grave des jours où il faut lutter. Elle en a l’expérience. Elle est l’une des pionnières du féminisme en Espagne et a lutté 40 ans pour en arriver à la liberté d’avorter accordée par la loi du gouvernement Zapatero en 2010. À ses côtés, Maité Andreu, elle aussi médecin, distribue des formulaires de demande d’asile aux manifestants : "La nouvelle loi du gouvernement Rajoy est un retour en arrière, un retour aux années du franquisme. On retire aux femmes le droit de décider, et à nous, les professionnels, le droit de les aider".
Selon les dispositions que le gouvernement veut introduire, une femme ne pourra avorter qu’en cas de viol ou de danger grave pour la santé psychique ou mentale de la mère. Elle devra passer par un long parcours avant de pouvoir avorter sans commettre un délit : deux rendez-vous d’information sur les conséquences de l’avortement, deux certificats médicaux émanant de professionnels n’ayant pas de lien avec la clinique abortive, puis sept jours de réfléxion… "Avec le délai d’avortement, fixé à 12 semaines, je vous le dis : c’est impossible ! Cette loi est tout simplement faite pour qu’aucune femme ne puisse avorter en Espagne", résume Ampar. Pour Natalia, "une femme qui veut avorter avorte de toute façon". Cette jeune professionnelle explique : "Celles qui pourront se le permettre iront à l’étranger, en France par exemple. Celles qui ne le peuvent pas avorteront dans la clandestinité".
Si le gouvernement Rajoy a une majorité absolue (et habituellement disciplinée) au Parlement, les féministes espagnoles ont l’opinion publique de leur côté : 78% des Espagnols désapprouvent tout ou partie de l’avant-projet de loi selon un sondage publié par le quotidien "El Pais". La plateforme "Décider nous rend libre" va multiplier les actions dans les semaines qui viennent. Des manifestations sont prévues notamment les 1er et 8 février à Madrid. Elles marquent le début d’un bras de fer pour tenter de faire échouer cet avant-projet de loi que le gouvernement de Mariano Rajoy veut soumettre aux députés avant l’été.