Neuf ans après l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, le procès de quatre membres du Hezbollah, désignés par l'accusation, s'est ouvert jeudi matin devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), aux Pays-Bas.
Le 14 février 2005, l’explosion d’une camionnette bourrée de 2,5 tonnes de TNT en plein centre-ville de Beyrouth allait changer le cours de l’histoire, déjà bien tourmentée, du Liban. Ce jour-là, l’ancien Premier ministre libanais et puissant leader sunnite Rafic Hariri était tué sur le coup, ainsi que 22 autres personnes.
Neuf ans après ce cataclysme politique, le procès des meurtriers présumés s'est ouvert jeudi 16 janvier devant une juridiction internationale, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), basée à Leidschendam, à quelques kilomètres du centre de La Haye, aux Pays-Bas.
Vers la fin de l’impunité au Liban ?
Pour élucider cet assassinat, immédiatement attribué par la famille du défunt au régime syrien et à ses affidés libanais, dont Rafic Hariri s'était distancié, le pays du Cèdre avait demandé l’aide des Nations unies. La division politique qui régnait à l’époque dans le pays, et qui reste d’actualité, entre pro et antisyriens, empêchait Beyrouth d’enquêter sereinement sur le crime, et a fortiori de juger les coupables.
Et ce, sachant que la trentaine d’assassinats politiques qui ont eu lieu au Liban depuis les années 1970, y compris ceux de deux chefs d’État, Bachir Gemayel en 1982 et René Moawad en 1989, n’ont jamais été élucidés. "Indéniablement, l’ensemble des assassinats qui ont visé la classe politique libanaise ont été justement encouragés par ce sentiment d’impunité en matière de crime politique, et malgré le meurtre d’Hariri et le TSL, les attentats se sont poursuivis, voire même accélérés", regrette une source au sein du ministère libanais de la Justice, interrogée par FRANCE 24 sous le sceau de l’anonymat.
De fait, dans les mois et les années qui suivirent l’assassinat de Rafic Hariri, une série d'attentats a fauché des hommes politiques et des figures médiatiques, qui avaient pour point commun d’être opposés au régime syrien. Le dernier en date a eu lieu le 27 décembre dernier, quand une voiture piégée a tué Mohammad Chatah, ancien ministre des Finances et proche conseiller de l'ex-Premier ministre Saad Hariri, le fils de Rafic.
Un tribunal très "spécial"
D’où l’attente née de la création du TSL, instauré par la résolution 1757 du Conseil de sécurité, votée en mai 2007, à la suite d’un accord signé entre l’Onu et le gouvernement libanais. Pour la première fois dans l’histoire du droit, un tribunal international a été mandaté pour juger, non pas un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, mais un crime relevant du terrorisme. Autre particularité, à la différence des procédures appliquées par les autres tribunaux internationaux, le procès du TSL pourra s’ouvrir malgré l’absence physique des accusés, qui seront jugés par contumace.
Et pour cause, selon l'accusation, les suspects identifiés par l’enquête internationale sont tous issus des rangs du Hezbollah chiite, le puissant mouvement politico-militaire de Hassan Nasrallah. Mais ce dernier a catégoriquement refusé de les livrer au TSL, qu’il accuse d’être politisé et "aux ordres des États-Unis et d’Israël".
Les membres du parti pro-iranien Mustafa Badreddine, 52 ans, et Salim Ayyash, 50 ans, auraient planifié et exécuté l’attentat du 14 février 2005. Deux autres hommes, Hussein Oneissi, 39 ans, et Assad Sabra, 37 ans, sont accusés d'avoir enregistré une fausse cassette vidéo pour revendiquer le crime au nom d'un groupe islamiste radical fictif. En octobre, un mandat d'arrêt pour un cinquième membre du Hezbollah, Hassan Habib Merhi, 48 ans, a été délivré. Les poursuites à son encontre pourraient être jointes au procès des quatre autres accusés.
"Nous n’allons pas chercher une vengeance à La Haye, mais le fait que quatre cadres du Hezbollah soient accusés d’avoir participé à l’assassinat de Rafic Hariri et à d’autres meurtres demande des explications et des comptes", confie à FRANCE 24 Marwan Hamadé, un ancien ministre libanais, lui-même visé par un attentat en octobre 2004.
Un procès à double tranchant
Le procès s'ouvre donc dans un contexte très tendu, devant une juridiction contestée, depuis sa création, par le camp pro-syrien. Il intervient au moment où les tensions entre sunnites et chiites sont au plus haut, non seulement au Liban, mais aussi en Syrie et en Irak.
Ghassan al-Azzi, professeur de sciences politiques, interrogé par l’AFP, estime qu’il y a peu de chances que le procès révèle "des surprises". Mais il redoute les conséquences d'une éventuelle condamnation des suspects chiites. "L'impact sur le fragile équilibre au Liban serait significatif", juge-t-il. Un paradoxe qui résume bien la fragilité du pays du Cèdre, en quête d’une vérité qui pourrait le replonger dans l’abîme de la guerre.