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"La partition du Soudan, voulue par Washington, est une catastrophe"

Les États-Unis haussent le ton pour tenter d’apaiser le Soudan du Sud, en proie à des violences depuis une semaine. Pour Michel Raimbaud, ex-ambassadeur de France au Soudan, l’attention de Washington pour ce nouveau pays n’est pas dénuée d’intérêts.

Le Soudan du Sud s’embrase et les États-Unis haussent le ton. Après avoir rapatrié, dimanche 22 décembre, ses ressortissants de Bor, une ville située à environ 150 km au nord de la capitale sud-soudanaise Juba, puis renforcé le contingent américain sur place, Washington a menacé de "prendre de nouvelles mesures si nécessaire".

"Toute tentative de s’emparer du pouvoir par des moyens militaires aura pour conséquence la fin du soutien de longue date des États-Unis et de la communauté internationale [au Soudan du Sud]", avait auparavant déclaré le président américain Barack Obama avant d’ajouter : "Le pays est au bord du précipice".
Depuis le début de l’explosion de violence le 15 décembre, Barack Obama s’est exprimé à trois reprises sur le Soudan du Sud. Mais l’intérêt américain pour le plus jeune pays du monde –indépendant depuis juillet 2011 – n’est pas récent. Une partie du star system hollywoodien, en tête duquel paradent George Clooney et Mia Farrow, a même pris fait et cause pour l’indépendance du Soudan du Sud, en brandissant des arguments humanitaires.
Pourquoi ce pays enclavé, politiquement instable, en proie à une insécurité croissante, intéresse-t-il autant le géant américain, peu enclin aux interventions sur le sol africain ? Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France au Soudan (1994-2000) et auteur d’un essai consacré au pays (Le Soudan dans tous ses États, paru fin 2012 aux éditions Khartala), interrogé par FRANCE 24, estime que comme dans le reste du monde arabo-musulman, la stratégie américaine est guidée par deux lignes directrices : le pétrole et les intérêts d’Israël.

Omar el-Béchir inquiète Washington
L’arrivée d’Omar el-Béchir à la tête du Soudan en 1989 a ouvertement déclenché l’hostilité de Washington à l’égard de Khartoum. Pour la première fois, l’État soudanais s’est déclaré islamiste. De quoi hérisser Israël, et par ricochet, les États-Unis. "Le pays a ensuite choisi de soutenir l’Irak de Saddam Hussein en 1990-1991, d’héberger les opposants islamistes aux régimes arabes [avant les révolutions arabes]… Il s’est fait mal voir des États-Unis", résume Michel Raimbaud. Dès 1993, l’administration américaine a inscrit le Soudan sur sa liste des "commanditaires du terrorisme", et, cinq ans plus tard, lui a infligé de lourdes sanctions économiques.
Encouragé par Israël, Washington se serait donc employé à mettre des bâtons dans les roues de l’administration de Khartoum. "Le Soudan est un pays extrêmement important du point de vue stratégique pour les États-Unis", poursuit le diplomate. Leur objectif ? "‘Casser’ le Soudan, plus grand pays du monde arabe", estime Michel Raimbaud. C’est d’ailleurs à ce titre, ajoute le diplomate, que les États-Unis ont énergiquement œuvré à la partition du Soudan, entre le Nord et le Sud.
En 2003, alors que le Soudan est plongé dans une interminable guerre civile, un processus de paix est entamé sous la houlette de l’Igad, l’Autorité intergouvernementale sur le développement rassemblant huit pays africains, mais également chapeauté par les États-Unis. Les négociations durent plus de deux ans. "En réalité, les États-Unis étaient juge et partie parce qu’ils soutenaient ouvertement la rébellion sudiste indépendantiste, analyse l’ancien ambassadeur. Et ils nourrissaient un espoir à peine masqué : le fait que le processus de paix aboutisse à une séparation du Soudan du Sud. […] Les négociations de paix prévoyaient un référendum d’autodétermination qui s’est soldé, en 2011, par l’indépendance de la région. […] Je ne sais pas quelle aurait été la réaction des États-Unis si le référendum avait abouti à un autre résultat".

L’appât du pétrole
D’autant qu’à cette stratégie régionale s’ajoute un intérêt énergétique majeur dans le soutien des États-Unis aux autorités sud-soudanaises. "Dans la partition du pays en 2011, le Soudan du Sud a hérité de la majeur partie, soit 70%, des gisements de pétrole. Mais les infrastructures restent entre les mains du Soudan, ce qui pose des problèmes", rappelle le diplomate.
Aujourd’hui, pour les États-Unis, le temps presse : les réserves pétrolières sont déjà entamées. La Chine, avec qui le Soudan avait conclu des partenariats d’exploitation, a su conserver ses intérêts à la fois à Khartoum et à Juba, mais Washington n’a pas perdu l’espoir de profiter de la manne pétrolière. Et, aux dires du diplomate, l’administration américaine cherche un moyen d’acheminer le pétrole hors du Soudan du Sud sans passer par le Soudan. "Washington élabore un projet d’autoroute pétrolière - une voie ferrée et un pipeline – qui relierait les gisements du Sud au Kenya", affirme Michel Raimbaud. Et ce, ajoute le diplomate, sans que le Soudan profite de la manne.
Depuis le 15 décembre, au moins 500 personnes ont été tuées dans les combats qui opposent la rébellion de l'ancien vice-président Riek Machar, limogé en juillet, et l’armée sud-soudanaise. Des dizaines de milliers de civils fuient les violences et la communauté internationale craint que le conflit ne dégénère en guerre civile.
"L’indépendance du Soudan du Sud est considérée par les États-Unis comme un triomphe de leur diplomatie, conclut Michel Raimbaud. En réalité, ce pays concentre sur lui tout le cynisme des stratégies géopolitiques américaines et plus largement de la communauté internationale. Ces stratégies sont drapées dans de beaux concepts d’autodétermination, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de beaux discours humanitaires. Ce qui se passe actuellement au Soudan du Sud, tout le monde aurait pu le prévoir. J’ai toujours considéré que la partition Soudan était une grande catastrophe géopolitique et géostratégique".