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Reportage : Madiba est rentré au pays

, envoyée spéciale en Afrique du Sud – La dépouille de Nelson Mandela est arrivée samedi sur sa terre d'enfance, à Qunu, où il sera enterré dimanche. Si les habitants l'ont accueilli avec tous les honneurs, ils regrettent néanmoins de ne pas avoir pu voir le corps de leur héros.

Cela aura été son ultime voyage. Pour la dernière fois, Mandela aura traversé les paysages qu'il affectionnait tant. Pour la dernière fois, il aura été porté par le vent du Transkei chargé de pluie, il aura été bercé par le chant des grenouilles dans les rivières infinies et béni par le vol silencieux et magique d'un aigle royal. Entouré de milliers de personnes venues accueillir l'enfant du pays, le cercueil de Nelson Mandela est arrivé par avion militaire samedi 14 décembre en milieu de journée, à l'aéroport de Mthatha. Au terme d'une procession de deux heures, Nelson Mandela a rejoint sa demeure familiale à Qunu, où il sera enterré dimanche matin, lors d'une cérémonie d'abord officielle, en présence de 5000 invités de marque, puis traditionnelle, avec la famille et les proches seulement.

Pour accueillir le héros de la lutte anti-apartheid sur le tarmac, la famille ainsi que les dignitaires locaux était présents. Vêtu d'un habit traditionnel fait de franges de peau de vache sur tee-shirt léopard, Inkosi Bonginkosi, un chef religieux Abathembu - le clan royal auquel appartient Mandela - confie à FRANCE 24 être venu "pour recevoir Tata et lui annoncer qu'il est de retour à la maison". Avec d'autres, il veillera le corps dans la nuit de samedi à dimanche pour "l'accompagner vers ses ancêtres". À ses côtés, le roi TB Molefe II, à la tête du royaume tribal des Batlokoa, poursuit : "Dans notre culture, quand quelqu'un meurt, il doit rentrer chez lui parce que son esprit connaît l'endroit et le chemin pour rejoindre les ancêtres".

Un lieu d'éternité

Conformément à cette tradition donc, Nelson Mandela, qui appartient à la tribu Xhosa, va reposer près des siens, dans le village où il a passé une enfance heureuse et protégée, loin de la haine des Blancs. Pour dernière demeure, il a choisi le petit cimetière de Qunu, où toutes les tombes portent le nom de Mandela. Face à lui, les collines herbeuses et ondulées où il se promenait il y a plus de 90 ans. Un lieu d'éternité où le temps semble passer au ralenti.

Certes, en 95 ans, le village de Qunu n'est pas resté figé dans le temps. Les murs de boue séchée des maisonnettes aux couleurs acidulées ont été remplacés par des parpaings et les toits de chaume par de la taule ondulée. Le patriarche, très attaché à ces terres où il a passé la plus grande partie de ces dix dernières années, y a fait apporter l'eau, l'électricité et quelques routes ont été goudronnées plus vite qu'ailleurs.

Restent quelques vestiges immuables : des bergers emmitouflés dans des couvertures gardent toujours les moutons près des rivières et des gamins aux cheveux emmêlés courent le long des chemins de terre en jouant avec un bâton, comme sans doute Mandela avant eux. Dans ses mémoires, Madiba évoquait une enfance modeste faite de baignades, de glissades avec les autres garçons avec qui il gardait les moutons, ou de combats singuliers. "C'est dans les prairies que j'ai appris à tuer des oiseaux avec une fronde, à récolter du miel sauvage, des fruits et des racines comestibles, à boire le lait chaud et sucré directement au pis de la vache, à nager dans les ruisseaux clairs et froids et à attraper des poissons avec un fil et un morceau de fil de fer aiguisé", a-t-il écrit.

"Madiba nous revient"

Et parce que c'est ici qu'il a grandi, on le vénère dans la province du Cap-Oriental peut-être encore plus qu'ailleurs. L'enfant du pays fait la fierté de ses habitants. Massés par intermittence tout au long du cortège, ils sont venus chanter et danser pour faire leurs adieux. "Je suis venue rendre un dernier hommage à Tata [papa] Mandela et lui dire que je l'aimerai toujours. Je lui suis tellement reconnaissante parce qu'il n'a jamais oublié d'où il venait. "Maintenant, il nous revient. Il est ici chez lui et son esprit doit retourner à la nature", explique Apiwe Gqirashe, originaire d'un petit village voisin de Mthatha. La tête à moitié rasée, "comme Rihanna", s'enorgueillit-elle, la jeune femme de 23 ans était aux abords de l'aéroport dès 9 heures du matin pour apercevoir le cortège qui n'a démarré que cinq heures plus tard.

Pamela Timakwe, qui caresse avec tendresse les cheveux de sa fillette, a elle aussi patienté toute la matinée pour apercevoir, à travers la vitre du corbillard, le cercueil de Madiba. Comme d'autres dans l'assemblée, elle regrette que le corps du leader n'ait pas été exposé au moins une journée dans la région plutôt que de rester trois jours à Pretoria. "Nous sommes tellement fiers de l'avoir ici. On comprend que l'on ne puisse pas venir à l'enterrement demain mais nous sommes déçus de ne pas l'avoir vu. Nous aussi nous voulions lui dire au revoir et clore le chapître". C'est les larmes aux yeux, la main de sa fille serrée dans la sienne, qu'elle a enfin vu passer le corps de Madiba. Encore prise par l'émotion, elle tourne la page : "Jusqu'à maintenant, ça se passait à Johannesburg et à la capitale. Mais ça y est, nous aussi nous avons vu et on sait maintenant qu'il est bien mort. Nous pouvons le laisser partir", conclut-elle.

Beaucoup restent cependant sur leur faim. Ils sont nombreux à penser qu'on leur a un peu volé leur Madiba durant cette semaine de cérémonie funéraire orchestrée principalement à Johannesburg et Pretoria. Après avoir vu passer le corps, Pumza Philipps fulmine derrière ses immenses lunettes de soleil. "C'est injuste ! Ils auraient pu s'arrêter ne serait-ce que cinq minutes pour qu'on le voit. On attend depuis le matin et hop, en une fraction de seconde il est parti! Cela va trop vite. On voulait juste le voir, juste sentir sa chaleur…" La déception des uns n'entame pas l'enthousiasme des autres. Des groupes de centaines d'enfants, qui crient d'hystérie et de joie au passage du cortège, se mettent à courir après la voiture de Mandela. Et même s'ils ne parviennent pas à le rattraper, ce n'est pas bien grave. Ils savent que désormais Mandela restera près de chez eux pour l'éternité.