Jeff Bezos a réussi un beau coup de communication, en annonçant que son entreprise, Amazon, avait un projet de drones livreurs. Mais les consommateurs ne verront pas ces engins remplacer le Père Noël de si tôt, selon les professionnels du secteur.
Pour Amazon, la prochaine révolution viendra des drones. Jeff Bezos, le PDG du célèbre magasin en ligne, a assuré que ces engins volants pourraient devenir les livreurs du futur, lors d’un entretien accordé dimanche 1er décembre à la chaîne américaine CBS. “Je sais que ça ressemble à de la science-fiction, mais ce n’en est pas”, s’est exclamé le patron d’Amazon en parlant de son projet baptisé Amazon Prime Air.
Il a expliqué que ces drones pourraient venir apporter chez les clients de l’enseigne des paquets de 2,27 kg une demi-heure après avoir passé commande sur le site. Mieux : cette méthode est, d’après Jeff Bezos, une bonne nouvelle pour l’environnement car les drones “sont équipés de moteurs électriques, ce qui est quand même mieux que des camions qui roulent à longueur de journée”.
Une opération bénéfique ? Médiatiquement c’est sûr. Depuis l’interview, le buzz autour d’Amazon et ses drones livreurs n’a fait qu’enfler. Mais pour le consommateur, il faudra encore patienter. “On ne parle pas de quelque chose qui pourrait arriver demain, mais plutôt après-demain”, résume Benjamin Michel, directeur de la production à Delair-tech, une société française qui produit et commercialise des mini-drones pour une application civile.
“Un tel engin qui tombe du ciel peut être mortel”
“Il ne faut pas se leurrer, il y a un côté opération de communication à l’approche de Noël pour faire parler d’Amazon”, renchérit Emmanuel de Maistre, président de la Fédération professionnel du drone civil. Le site américain ycombinator.com a même compilé les précédentes annonces de drones qui livrent tout et n'importe quoi (pizza, sushi etc.) qui sont en fait des coups marketing sans lendemain.
L'une des plus importantes chaînes de librairies britanniques, Waterstone, a réagi à l'annonce d'Amazon sur le ton de l'humour en lançant un soi-disant service de livraison de livres par hiboux qui prendra "beaucoup d'année à mettre en place parce qu'il est difficile de dresser des hiboux".
Jeff Bezos assure, lui, être sérieux. Mais il ne promet pas, pour autant, des drones livreurs qui remplaceraient dès cette année le Père Noël. Il précise que son projet n’en est encore qu’à la phase de recherche et développement et qu’il faudra probablement attendre 2018 au plus tôt pour mettre la machine de drones livreurs en ordre de marche.
L’obstacle principal n’est pas tant technologique. “Techniquement, ce n’est pas inconcevable”, reconnaît ainsi Benjamin Michel. Le seul hic, à ses yeux, vient de l’autonomie du drone. “Pour transporter des paquets d’environ 2,3 kg, il faudra utiliser des engins d’environ 8 kg qui, en l’état actuel des connaissances, ont une autonomie de vol de 10 à 20 minutes”, précise cet expert. Autant pour la promesse de Jeff Bezos d’assurer les livraisons en 30 minutes. Mais avec davantage de recherches, passer à des drones plus autonomes peut paraître envisageable.
Là où le bat blesse bien davantage c’est pour l’aspect opérationnel et sécuritaire. “Comment ces drones vont-ils éviter tous les obstacles comme les lignes à haute tension, les oiseaux, dans des zones densément peuplées?”, s’interroge Emmanuel de Maistre. Pour lui, c’est tout simplement impossible et très dangereux : “Un tel engin de 8 kg qui tombe du ciel peut être mortel”. Sans compter, rappelle-t-il, qu’il n’est actuellement pas possible de faire voler ces petits drones civils en cas de mauvais temps. De quoi réduire l’intérêt de ces livreurs mécaniques pour les fêtes de fin d’année.
Plusieurs dizaine de milliers d’euros par drone
Autant de soucis logistiques qui expliquent pourquoi les législations sont, de par le monde, aussi frileuses à l’égard de l’utilisation commerciale de drones civiles. “Il n’y a pas de réglementation de ce secteur actuellement aux États-Unis, ce qui fait qu’aucun opérateur de drone civile n’existe pour l’instant sur le sol américain”, rappelle Emmanuel de Maistre. La FAA (Federal Aviation Administration) s’est fixée comme objectif de délivrer les premiers permis à partir de 2015. Un calendrier jugé optimiste par beaucoup : “Il va falloir que tous les opérateurs acceptent, alors, de se plier aux mêmes règles de sécurité et de procédure qui sont en vigueur pour les industriels du secteur de l’aéronautique, ce qui n’est pas gagné”, précise Emmanuel de Maistre.
En outre, la législation relative aux drones est très spécifique. Ainsi, en France, très en pointe en la matière, “on a pas le droit de laisser voler les drones civils hors de vue du pilote [1 km au maximum dans l’écrasante majorité des cas, NDLR] et ils ne peuvent pas s’élever au-dessus de 150 mètres pour ne pas entrer en conflit avec d’autres engins volants qui peuvent accéder à l’espace aérien”, résume Benjamin Michel.
Enfin, pas sûr que l’opération soit économiquement rentable. “Un drone comme celui décrit par Jeff Bezos coûte actuellement plusieurs dizaines de milliers d’euros à construire”, indique Benjamin Michel. Amazon aura probablement besoin de toute une armada pour satisfaire ces clients. À ce coût de production vient également s’ajouter celui de l’entretien, ce qui fait qu’Emmanuel de Maistre craint qu’en 2018 le modèle économique de drones livreurs ne trouve pas encore grâce aux yeux de Jeff Bezos.