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Débat sur la prostitution : les hommes politiques français ne pipent mot

Contrairement aux femmes politiques, peu de députés ont fait entendre leurs voix sur le projet de loi sur la prostitution, discuté vendredi à l’Assemblée. Les hommes de l'Hémicycle seraient-ils mal à l’aise avec les questions de sexualité tarifée ?

L’écrivain et journaliste Françoise Giroud avait bien raison : "La prostitution est un phénomène masculin". À l’heure où le débat sur le plus vieux métier du monde va faire son entrée dans l’Hémicycle, vendredi 29 novembre, l’adage ne s’est jamais autant vérifié.

Depuis la publication en octobre dernier du Manifeste des 343 salauds, une tribune – sordide ou progressiste, selon les avis – réclamant l’abolition du projet de loi sur la pénalisation des clients, une poignée de "mâles", à l’instar de l’écrivain Frédéric Beigbeder ou encore du journaliste Éric Zemmour, se sont ouvertement érigés contre cette "guerre faite contre les hommes".

Mais si ce décalque du Manifeste des 343 salopes a délié les langues et ouvert la voie à des heures de polémiques brûlantes, il est un cercle d’individus qui s’est surtout illustré par son mutisme sur le sujet : les députés. Quel que soit leur bord politique, rares sont ceux qui, sur les plateaux de télévision ou à l’antenne des radios, ont abordé la question de la sexualité tarifée.

Un sujet "dérangeant"

Certes, les socialistes dans leur grande majorité disent soutenir le texte, mais presque aucun député ne s’attarde sur le dossier. À l’UMP et à l’UDI, le mot d’ordre est le même : "liberté de vote". "Il y a des positions divergentes entre nous", s’est contenté de déclarer le chef de file des députés UMP Christian Jacob. Seul Guy Geoffroy (UMP), fervent supporteur du texte a osé mettre les pieds dans le plat. Interrogé par le quotidien "Libération", le défenseur du projet de loi, a émis une explication plutôt surprenante au mutisme de ses confrères. "Le sujet est dérangeant, reconnaît-il, car les vieux schémas telle l’idée que la prostitution restera le plus vieux métier du monde ou qu’elle est nécessaire sont encore présents…"

Une phrase lourde de sens. À l’écouter, on serait donc tenté de croire que la "discrétion" sur le sujet de la majorité des hommes politiques s’expliquerait par un cliché tenace, à savoir que la prostitution est un mal "nécessaire" car pratiquée depuis des siècles.

Justification frivole, rétorque Philippe Cochet, député UMP du Rhône. "Beaucoup de politiques comme moi, n’ont pas d’opinion sur le sujet et ne s’expriment pas parce qu’ils prennent le temps de la réflexion. Pour ma part, je pense que le dossier n’a pas été suffisamment travaillé, c’est tout", explique-t-il à FRANCE 24. "Il n’y a pas de sujet tabou", ajoute-t-il balayant d’un revers de main l’idée que le sujet de la sexualité tarifée paralyserait certains de ses confrères.

"Sommes-nous les mieux placés, nous les hommes, pour statuer ?"

Pour d’autres pourtant, comme Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne - et membre de la commission des Affaires sociales -  l’idée de légiférer sur une profession presque entièrement féminine quand on est le sexe fort peut être déroutant. "Ce sujet [la prostitution] renvoie à la sexualité des hommes. Cela peut, il est vrai, parfois perturber le législateur", finit-il par admettre. "Oui, il y a un malaise. Le parlementaire peut se demander jusqu’à quel point le politique veut entrer dans la sphère de l’intime".

Même discours du député socialiste François Loncle, contacté par FRANCE 24. S'il salue un "texte de qualité", il reconnaît que le sujet peut être incommodant. "Sommes-nous vraiment les mieux placés, nous les hommes et les parlementaires, pour avoir un avis sur ces questions à caractère privé ?", précise-t-il avant de dénoncer "l’hypocrisie terrible" de certains de ses confrères, dont l’un, "partisan du texte [pour la pénalisation du client]" a recours aux services des prostituées "lors de ses déplacements à l’étranger".

Puritains et libertaires

Mais s’agit-il vraiment ici du domaine de l’intimité ? La majorité des prostituées en France sont des sans-papiers souvent victimes de réseaux mafieux, loin de l’image d’Épinal de la romantique "Pretty Woman", héroïne du film à succès de Gary Marshall en 1990. La réalité du quotidien est bien moins édulcorée : la marchandisation de leurs corps nourrit un immense trafic d’êtres humains à travers la planète. Dans l’imaginaire collectif pourtant, les poncifs romantiques autour de la fille de joie, libertine et libre de ses choix, ont toujours la dent dure.

"Il y a un clivage moral, pragmatique et religieux autour de ce dossier. Un clivage que les féministes distinguent entre ce qu’on pourrait appeler les puritains et des gens plus libertaires qui pensent qu’entre deux adultes consentants, on peut faire ce que l’on veut", analyse Janine Mossuz-Lavau, politologue et auteure de la "Prostitution à Paris", contactée par FRANCE 24. "Aborder la sexualité en politique, c’est tabou, certes, mais c’est surtout dangereux. Gardez bien à l’esprit que le silence de tous ces hommes s’expliquent aussi par le fait qu’ils ne veulent pas porter la responsabilité de ce texte extrêmement sensible qui pourrait être mal reçu par leurs électeurs", conclut-elle.