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Louvois, le système de paiement des soldes qui a traumatisé l'armée française

Après deux années de fiasco, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé mardi l’abandon du système informatique du paiement des soldes, baptisé Louvois, responsable de nombreux impayés et trop-perçus dans l’armée de Terre.

"C’est un désastre, je n’hésite pas à dire le mot. Une vraie catastrophe, indigne d’un pays comme le nôtre." Après deux années de fiasco du système de paiement des soldes des militaires, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a fait, mardi 26 novembre, amende honorable. "J’ai décidé d’abandonner le système Louvois […] C’est un dispositif qui a été mis en œuvre dans la précipitation […] et qui a abouti à des situations extrêmement pénibles", a-t-il ajouté, interrogé sur Europe 1. La facture devrait s'élever à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Depuis sa mise en place au mois d’octobre 2011, le logiciel de paiement des armées baptisé Louvois [du nom du secrétaire d’État à la Guerre de Louis XIV] a eu pour conséquence de graves dysfonctionnements dans le traitement des soldes de soldats de l’armée de Terre.

Plusieurs milliers d’entre eux, notamment en mission en Afghanistan ou au Mali, n’ont tout simplement plus reçu – ou seulement partiellement - leurs salaires. Plus de deux ans après la mise en place du système, de plans d'urgence en promesses de résolution pour colmater les brèches, le bug informatique de Louvois n'a jamais été maîtrisé. Et au printemps 2013, la situation ne semblait pas franchement s’arranger : 70 000 dossiers de trop-perçus ou d’impayés ont été récensés.

"350 000 euros de déclaration fiscale !"

Évidemment, pour de nombreuses familles, l’annonce du ministre de la Défense est un soulagement. "Il était temps !", lâche Mathilde*, la compagne d’un officier en opérations extérieures (Opex), contactée par FRANCE 24. "Mon mari s’apprête à partir au Mali, il est blasé." Il y a de quoi : son compagnon a reçu pendant plusieurs mois des trop-perçus qu’il doit aujourd’hui rembourser chaque mois. Mais ce n’est pas tout. "En plus de cette situation ubuesque, je dois gérer seule le foyer, régler les factures, la crèche, la cantine des enfants. Et maintenant, même le Trésor public nous tombe dessus ! Il nous réclame de l’argent qu’en réalité nous n’avons pas touché !", soupire Mathilde.

Elle espère donc que le nouveau logiciel de paiement soit plus sûr, moins "anxiogène". Mais il faudra être encore patient : les hauts gradés qui planchent actuellement sur un nouveau logiciel ne cachent pas que la mise en place d'un nouveau système informatique prendra du temps - plusieurs mois, voire un an ou deux. "Vous savez, je connais une famille où un sous-officier a vu sur sa déclaration fiscale qu’il touchait 350 000 euros à l’année ! C’est fatiguant, ça fait des années que ça dure, et rien n’est rentré dans l’ordre…"

Même lassitude pour Angélique, que FRANCE 24 avait déjà contactée en octobre 2012. Pour elle non plus, rien n’a été réglé. "Ce Louvois, c’est une vraie loterie. Tous les mois, il nous donne des surprises." Après des mois d’impayés, de comptes dans le "rouge", cette mère de famille, sans travail, gère désormais les trop-perçus de son mari, sergent-chef.

"Le problème Louvois est toujours aussi concret. Il est même de plus en plus grave. Des soldats qui n’étaient pas concernés par le bug en 2011-2012, le sont aujourd’hui, tous grades confondus. Certains ont dû vendre leurs maisons pour rembourser leurs prêts. Certains aussi ont quitté l’armée", déplore-t-elle.

"Je demande que les responsables soient sanctionnés"

Alors si Angélique salue l’annonce de Jean-Yves Le Drian, elle regrette qu’elle intervienne aussi tard. "Mon mari est fatigué. Il a l’impression de ne pas en voir le bout, de ne pas être entendu. J’aurais préféré que cette nouvelle arrive un peu plus tôt", ajoute-t-elle. Angélique demande surtout que les auteurs du préjudice ne restent pas impunis. "Quand un militaire fait une faute, il est immédiatement sanctionné. Je demande le même traitement pour les responsables de Louvois", explique-t-elle.

Une requête relayée par l’association Militaires et Citoyens, qui milite pour la défense des droits des soldats. "Il semble scandaleux que les administrés et leurs familles soient les seuls à supporter ce fiasco Louvois alors qu’elles n’ont aucune responsabilité", peut-on lire dans son communiqué du 25 novembre. Le logiciel a été mis en place par la société de service informatique Steria. Quelle est sa part de responsabilité ? "Si les auteurs ne sont ni sanctionnés, ni désignés, ni même recherchés, le ministère validera la notion d’impunité […]". Reste qu’aux dernières nouvelles, Jean-Yves Le Drian préfère passer à autre chose et n'entend pas traquer les responsables. "Je ne veux pas ajouter de la polémique à la catastrophe, j'assume l'héritage, même s'il est difficile", a-t-il déclaré.

* Le prénom a été changé.