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Der des Der : "Les Alliés partagent une mémoire très vive de la Grande Guerre"

L'année 2014 marquera le début d'une longue série de commémorations des 100 ans de la Première Guerre mondiale. Une "Mission pour le centenaire" a été spécialement créée à cette occasion pour fédérer les nombreuses initiatives. Entretien.

Plus un poilu pour commémorer les cérémonies du 11 novembre. Les derniers témoins sont tous morts. Et pourtant, la mémoire, elle, reste bien vive, surtout en ces périodes de commémorations. L’année 2014 marquera le début du cycle du centenaire de la Grande Guerre. À cette occasion, la "Mission pour le centenaire de la Première Guerre mondiale 1914-2014", a été crée en 2012 pour coordonner et organiser les actions mémorielles, qui seront menées durant quatre années en France et à l’étranger. FRANCE 24 a rencontré Nicolas Offenstadt, spécialiste de la Grande Guerre et membre de la dite "Mission".

FRANCE 24 : La France se prépare à commémorer le centenaire de la Grande Guerre. En quoi est-ce important ?

Nicolas Offenstadt : Cette commémoration est importante à plusieurs titres. Il y a d’abord une véritable attente des Français sur la Grande Guerre car il y a en France un activisme mémoriel. Le comité scientifique de la "Mission pour le centenaire" a donné son label à plus de 1 200 projets dans toute la France et dans les Territoires d’Outre-mer. Il devrait encore y en avoir une centaine d’autres dans les mois à venir. C’est beaucoup, surtout quand on sait qu’il y a autant de projets privés. Il ne s’agit pas d’un simple événement passé mais d’une mémoire qui reste ancrée dans les familles.

La Guerre de 1914 est, ensuite, un sujet intéressant pour réfléchir à l’Histoire d’un pays. Le traumatisme humain, économique, démographique, que cette guerre a engendré a joué un rôle considérable dans le développement ultérieur des pays impliqués dans le conflit. Enfin, la Première Guerre mondiale soulève un certains nombre de questionnements qui sont utiles pour le présent : quel est le rapport entre les individus et l’État ? Que peut-on demander à un individu pour protéger l’État et la Nation ? Qu’est-ce que la solidarité ? Toutes ces questions qui se sont posées en 1914 sont toujours d’actualité pour nous, citoyens du XXIe siècle.

FRANCE 24 : Quelles sont les priorités de la "Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale" pour que cela soit dignement commémoré?

Nicolas Offenstadt : Un centenaire réussi doit avoir une dimension mondiale. Des batailles ont été livrées en Afrique, en Asie, en Mésopotamie et à l’est de l’Europe. La mondialisation de la commémoration permettra de mettre en avant la participation réelle de chaque nation impliquée dans le conflit.

Par ailleurs, les colonies françaises à l’époque du conflit – qui sont aujourd’hui des états indépendants pour la majorité – doivent être tout autant concernées par le centenaire. Il est important d’intégrer la mémoire coloniale dans les commémorations de la Grande Guerre si l’on veut aujourd’hui apaiser les tensions que ces questions suscitent toujours aujourd’hui.

Il faut rappeler notamment que les soldats des colonies n’étaient pas seulement de bons soldats qui se sont sacrifiés pour la mère patrie, mais des individus qui ont souvent été enrôlés de force dans les régiments. Raconter la Grande Guerre, c’est donc aussi raconter les révoltes et les tensions sociales qui ont eu lieu dans les colonies françaises.

Il existe de nombreuses autres questions qui nécessitent d’être traitées comme, entre autres, celle de la non-reconnaissance du génocide arménien de la Turquie en 1915.

FRANCE 24 : Est-ce que ces commémorations suscitent le même intérêt pour tous les États qui y participent ?

Nicolas Offenstadt : Non. La Grande Guerre tient une place fondamentale dans l’histoire de la France et des Anglo-Saxons, notamment en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Les Alliés partagent une mémoire très vive de ce passé. Ce n’est pas le cas avec l’Allemagne. Outre-Rhin, les grandes problématiques mémorielles sont plus récentes. Si la Première Guerre mondiale a eu un impact considérable sur l’histoire allemande du XXe siècle, elle a ensuite été éclipsée par des événements autrement plus traumatisants : la montée du nazisme, la seconde guerre mondiale, la division puis la réunification du pays. Il y a donc un décalage entre le rapport à la Grande Guerre des Alliés et celui des Allemands.

Il y a tout de même une véritable volonté des États de combler ces différences d’intensité. Dans son discours de lancement des commémorations du centenaire, prononcé jeudi 7 novembre, François Hollande a annoncé l’organisation d’une grande cérémonie franco-allemande avec son homologue le 3 août prochain, toujours dans l’idée de raviver la mémoire.