Le vice-Premier ministre syrien, Qadri Jamil, a été démis de ses fonctions mardi par le président Bachar al-Assad. L'homme, pourtant carte maîtresse du régime, aurait rencontré l'ambassadeur américain Robert Ford pour préparer Genève-2.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe mardi 29 octobre. Le président syrien Bachar al-Assad a démis de ses fonctions Qadri Jamil, son vice-Premier ministre. Cet ancien opposant, rallié au régime à l’été 2012, était pourtant une carte maîtresse pour le régime de Damas.
Officiellement chargé des affaires économiques, c’est plutôt de politique extérieure qu’il semblait s’occuper tant on l’a entendu, depuis plusieurs mois, s’exprimer sur le conflit qui fait rage en Syrie, depuis plus de deux ans et demi, et déjà fait plus de 115 000 victimes.
C’est lui, qui depuis Moscou, où il s’était entretenu avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, n’avait pas hésité en août 2012 à avancer, que le régime était prêt à discuter du départ de Bachar al-Assad, condition posée par l’opposition, et refusée par le régime. C’est également lui, qui fin septembre 2013, avait évoqué la possibilité d’un cessez-le-feu en Syrie, allant jusqu’à affirmer qu’"aucune des deux parties n’avaient les moyens de remporter la bataille".
La raison officielle de son limogeage : absence et manque de concertation avec le gouvernement. "Jamil a été limogé, parce qu'il a quitté le lieu de son travail sans autorisation préalable, et qu'il a manqué à ses devoirs. [...] En outre, il s'est lancé dans des initiatives à l'extérieur du pays, sans coordination avec le gouvernement", ont ainsi rapporté les médias officiels syriens.
"Le régime veut se servir de lui en tant qu’opposant "
La mise à l’écart inattendue de Qadri Jamil survient également, après que des informations de sources syriennes font état d'une rencontre, samedi 26 octobre, à Genève entre Qadri Jamil et l'ambassadeur américain Robert Ford pour la Syrie. Il aurait discuté avec lui de la préparation de la conférence internationale de paix dite Genève-2. Une entrevue confirmée par le département d'État américain.
L’opposant syrien, Mouhieddine al-Ladkani, cité par le site d’information d’opposition All4syria, affirme que Qadri Jamil aurait demandé à faire partie de la délégation de l'opposition syrienne à Genève-2. Mais Robert Ford aurait écarté cette option, faisant valoir, qu'il était difficile d'être à la fois au gouvernement et dans l'opposition.
Pour l’opposant, il se pourrait que ce limogeage ne soit que cosmétique, du moins pour le régime. "Il est clair qu’en le limogeant maintenant, le régime veut se servir de Qadri Jamil en tant qu’opposant, comme il s’est servi de lui en le nommant au gouvernement ", cité par All4syria. En l’écartant du pouvoir, Assad lui laisserait donc la voie libre pour rejoindre l’opposition, tout en espérant qu’il négocie dans l’intérêt du régime.
Selon le site d’information d’opposition All4syria, l’homme se serait déjà installé depuis plusieurs semaines à Moscou avec sa famille, mais sans pour autant avoir fait défection. Le principal intéressé nie s’être établi en Russie. Dans un entretien à la chaîne de télévision panarabe, al-Mayadine, basée à Beyrouth, il explique qu’il rentrera à Damas, dès qu'il aura terminé ses rencontres politiques en relation avec la prochaine conférence de paix dite Genève-2. "Nos rencontres avec des parties internationales pour arrêter le bain de sang en Syrie sont légitimes. Je ne pense pas, que ceux qui vont participer à Genève-2 doivent critiquer des rencontres avec des gens qui parrainent le dialogue", a ajouté le vice-Premier ministre.
L’ami des Russes qui prenait trop d’importance
Pour Frédéric Pichon, historien et spécialiste de la Syrie, l’hypothèse que le régime puisse se servir de Jamil du côté de l’opposition n’est pas impossible, " tant le régime syrien nous a habitués à louvoyer". Mais il reste prudent. "On ne peut ni vérifier ni prouver cela", remarque-t-il. Pour lui, "en écartant Qadri Jamil, le régime syrien se tire avant tout une balle dans le pied". "Jamil, parfaitement russophone, est, et ce bien avant qu’il ne rallie le régime, est très proche et apprécié des Russes", observe le chercheur. Il rappelle que l’homme a déjà vécu en Russie, où il a étudié l’économie avant de revenir l’enseigner à Damas. "Il était depuis longtemps pressenti comme le négociateur du régime, fort de sa légitimité d’ancien opposant", poursuit-il. Ancien membre du parti communiste syrien, il a fondé en 2002 le parti de la Volonté du peuple, qui a participé aux manifestations pacifiques contre le régime en mars 2011.
Son limogeage peut en outre, toujours selon l’historien, avoir plusieurs significations. "Il a pu avoir pris des initiatives mal perçues par le régime", avance-t-il. Mais peut-être a-t-on écarté un homme qui prenait trop d’importance ? " Il est vrai qu’il apparaissait de plus en plus, pour les Russes notamment, comme une éventualité pour la future transition, or on a pu voir, que dès qu’un membre du régime est considéré ainsi, il en paie les frais", explique-t-il. Ce fut déjà le cas notamment du vice-président Farouk el Chareh, ancienne figure de proue du régime baasiste, déjà chef de la diplomatie sous Hafez al-Assad, le père de Bachar.
Resté sceptique sur les méthodes du régime depuis le début du soulèvement, son nom avait, à maintes reprises, été évoqué comme l’homme de la transition par des opposants. Cela lui a valu d’être rapidement écarté du pouvoir. À l’été 2013 il a même disparu de l’appareil central du parti Baas, et des rumeurs affirment même qu’il serait assigné à résidence.
Toujours est-il qu’une chose est claire pour Frédéric Pichon : "en renvoyant son négociateur principal, Assad confirme qu’il ne veut pas négocier à Genève-2". L’homme fort de Damas avait déjà affirmé la semaine dernière que "les conditions n’étaient pas réunies pour discuter de la paix".