Le pic récemment atteint au Moyen-Orient par le trafic de pilules de Captagon, une drogue principalement composée d’amphétamines, serait directement lié au conflit en Syrie, affirment plusieurs médias.
La drogue est-elle devenue le nerf de la guerre en Syrie ? Le pic récemment atteint au Moyen-Orient par le trafic de pilules de Captagon, principalement composées d’amphétamines et de caféine, serait directement lié au conflit en Syrie, selon le quotidien libanais "The Daily Star" et le prestigieux hebdomadaire américain "Time" .
Classé par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) comme produit stupéfiant, le Captagon est un psychostimulant à base de chlorhydrate de fénétylline. Ce médicament facile à contrefaire est à l’origine strictement réservé au milieu hospitalier et prescrit à des patients souffrant de narcolepsie et de problèmes d’attention.
Selon "Time", les récentes saisies et les nombreuses arrestations de trafiquants opérées récemment au Moyen-Orient présentent la particularité d’être liées au financement de certaines composantes de la rébellion qui cherche à renverser le président syrien Bachar al-Assad. "À mesure que la guerre s'éternise en Syrie, le Captagon jouera très probablement un rôle significatif dans le financement des belligérants", affirme le journal américain.
Une marge colossale
Il est vrai qu’au Liban voisin, les saisies de produits stupéfiants impliquant des ressortissants syriens se sont multipliées ces derniers mois, au point d’atteindre des chiffres records. D’après les médias libanais, près de 12 millions de comprimés de Captagon, l’équivalent de deux tonnes et de quelques centaines de millions d’euros, ont été confisqués par le Bureau de lutte anti-drogue depuis le début de l'année. Selon "Time", la pilule de Captagon, qui ne coûte que quelques centimes à produire, se revend à hauteur de 20 dollars (15 euros) en Arabie saoudite, le principal marché du Moyen-Orient, où ce stupéfiant fait fureur.
Si une partie des stupéfiants sont fabriqués au Liban, des responsables sécuritaires libanais, cités par les médias locaux et "Time", affirment que de très grandes quantités de Captagon sont actuellement produites en Syrie. Les trafiquants acheminent ensuite la marchandise vers le pays du Cèdre, d’où le produit est ensuite transporté en petite quantité, guère plus qu’une dizaine de kilos, par des ressortissants syriens via des vols commerciaux en direction du Golfe.
Tantôt cachés dans des climatiseurs, des chauffe-eau industriels, des camions remorques ou des boîtes de pâtisseries, les pilules sont quasiment toutes destinées à être vendues en Arabie saoudite. Le royaume wahhabite a saisi près de 70 millions de pilules de Captagon l’an dernier, ce qui représente selon les autorités seulement 10% du trafic de ce stupéfiant.
"En quelques opérations, les trafiquants peuvent récolter facilement 300 millions de dollars [217 millions d’euros, NDLR], ce qui fait beaucoup d’armes", explique à "Time" le colonel Ghassan Chamseddine, le chef du Bureau de lutte anti-drogue libanais, qui insinue que l’argent généré est réinvestit dans l’achat d’armes pour la rébellion syrienne.
Le Hezbollah impliqué aussi ?
Financer les armes par la drogue n’est pas un phénomène nouveau au Moyen-Orient, ni même exceptionnel sur un théâtre de guerre. En son temps, le Liban fût un haut lieu du trafic de drogue pendant la guerre qui a dévasté le pays entre 1975 et 1990. Pour se financer et acheter des armes, les milices et les seigneurs de guerre libanais se sont livrés aux très lucratifs trafics de cocaïne, d’héroïne et de cannabis, gros pourvoyeurs de cash en très peu de temps.
La rébellion syrienne n’est pas la seule à être liée, directement ou non, à ce trafic, selon "Time". En mars 2012, les douanes avaient saisi à Beyrouth deux appareils utilisés pour la fabrication de comprimés de Captagon. Selon plusieurs médias libanais, citant des sources sécuritaires, deux frères d’un député du Hezbollah, Hussein al-Moussaoui, seraient impliqués dans cette affaire.
Le parti chiite pro-iranien qui combat en Syrie aux côtés des troupes du régime de Bachar al-Assad a souvent été accusé, notamment par des agences officielles américaines, d’avoir recourt au trafic de drogue pour diversifier ses sources de revenus. Ou du moins de couvrir certains de ses sympathisants et mécènes en fermant les yeux sur leurs activités illicites. En août 2012, Washington avait annoncé la saisie de 150 millions de dollars dans une procédure visant des établissements libanais accusés de blanchiment d'argent au profit du Hezbollah, en liaison avec un trafic de drogue. Le parti de Hassan Nasrallah avait à l'époque réfuté ces accusations, affirmant qu'elles ne visaient qu'à "salir" son image.
Dans l’article de "Time", un responsable du Hezbollah a démenti tout lien entre son parti et le trafic de stupéfiants, arguant que cette pratique est proscrite par l’islam. Toutefois, il reconnaît que le Hezbollah a déjà collaboré avec des mafias liées au trafic de drogue dans le cadre d’opérations sécuritaires. "Ce n’était ni au bénéfice ni pour financer le Hezbollah, il s’agissait de collecter des renseignements, et après tout, la fin justifie les moyens", a-t-il indiqué à "Time".