"Le Monde" révèle lundi une surveillance massive des télécommunications françaises par la NSA. La sphère politique s'en est immédiatement indignée. Pourtant, à en croire un expert de la guerre électronique, Paris ne pouvait pas ignorer ces pratiques.
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, se sont dit “choqués”, tandis que Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, a “immédiatement” convoqué Charles Rivkin, l’ambassadeur des États-Unis en France. Les responsables français n’ont pas tardé à réagir aux révélations, lundi 21 octobre, du journal “Le Monde” qui affirme que la NSA (l’Agence nationale américaine de sécurité) ne se prive pas d’écouter les conversations téléphoniques des Français et d’intercepter leurs courriels.
La Maison Blanche a minimisé lundi la nouvelle controverse née de révélations sur l'espionnage américain en France, assurant que Washington récupérait à l'étranger des données "du même genre que tous les pays".
"Nous ne commenterons pas publiquement toutes les activités présumées du renseignement [...], et nous avons dit clairement que les États-Unis récupéraient des données du renseignement à l'étranger, du même genre que tous les pays", a expliqué à l'AFP une porte-parole de la présidence, Caitlin Hayden.
D’après le célèbre quotidien du soir, qui s’inspire des documents fournis par l’ex-consultant de la CIA Edward Snowden à plusieurs médias, les espions américains ont, ainsi intercepté 70,3 millions d'enregistrements de données téléphoniques des Français du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013. De quoi, enfin, faire sortir Paris de son silence. Car jusqu’à présent, la France s’était montrée beaucoup plus discrète que son voisin allemand ou certains pays sud-américains, comme le Brésil, pour dénoncer le vaste programme de cybersurveillance de la NSA.
Alain Charret, un ancien cadre de l’armée de l’air, spécialiste de la guerre électronique et auteur de “La guerre secrète des écoutes”, livre son analyse à FRANCE 24.
FRANCE 24 : Pensez-vous que la France pouvait ignorer que la NSA interceptait les communications téléphoniques de ressortissants français ?
Alain Charret : C’est difficilement envisageable. Il y a eu, par le passé, des exemples avérés d’écoutes téléphoniques de la NSA qui ont coûté à des entreprises françaises de lucratifs contrats notamment au Brésil et en Arabie saoudite, en 1994. Par ailleurs, cet été, le personnel des ministères a été prié de n’utiliser que des téléphones cryptés pour certaines communications. Ce sont autant de preuves que les autorités françaises était au courant que la NSA écoutait les communications de certains Français.
FRANCE 24 : Mais, à en croire "Le Monde", la surveillance de la NSA concerne des millions de citoyens français, bien au-delà des terroristes présumés, des cercles d'affaires ou de pouvoir…
A.C. : Les autorités françaises ont peut-être pu être surprises par l’ampleur du programme. Mais je n’y crois qu’à moitié : le pouvoir n’est pas sans savoir que lorsque, comme la NSA, on intercepte massivement des données électroniques, il est inévitable de ramener dans ses filets des communications de simples citoyens.
FRANCE 24 : Dans ce contexte, que pensez-vous des réactions de Manuel Valls et Laurent Fabius ?
A.C.: Toute cette affaire est empreinte d’hypocrisie. Maintenant que l’existence de ces écoutes a été rendue publique, Manuel Valls et Laurent Fabius ont bien été obligés de réagir afin de ne pas donner l’impression de cautionner ces agissements. Mais ça ne veut pas dire qu’ils découvrent l’affaire. Peut-être même que ces réactions officielles sont exagérées. Elles pourraient même se retourner contre nous si les États-Unis décidaient de rendre public ce qu’ils savent des programmes d’écoutes des services de renseignements français. Car nous en avons probablement un qui ressemble, dans une moindre mesure, à celui des États-Unis.
FRANCE 24 : Laurent Fabius a dit que la NSA devait cesser ces pratiques. Que peut faire la France ?
A.C. : Rien. Lorsqu’on dit que la NSA espionne en France, il faut bien se rendre compte qu’elle le fait depuis des satellites ou au niveau des câbles sous-marins qui ne sont pas sur le territoire français. Les autorités françaises n’ont aucune prise là-dessus. Paris peut bien protester contre ces agissements. Mais après ? Même si la Cour européenne des droits de l’Homme était saisie et condamnait la NSA pour violation de la vie privée, ça n’empêcherait pas l'agence de renseignement de continuer à écouter les conversations téléphoniques en France comme ailleurs.