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Turquie : la revanche des islamistes ?

Levée de l’interdiction du voile dans les administrations, restrictions sur les ventes d’alcool, mise au pas de l’armée... en Turquie l’opposition laïque dénonce une dérive islamiste du gouvernement. Quelques mois après les manifestations place Taksim, le discours du Premier ministre Erdogan se durcit. Enquête au cœur d’une société divisée entre islam et laïcité.

La Turquie est dirigée depuis onze ans par l’AKP, le Parti de la justice et du développement. À leur arrivée au pouvoir, les islamo-conservateurs étaient applaudis pour leur pragmatisme économique. Le pays sortait alors d’une grave crise financière. Une décennie plus tard, voilà la Turquie propulsée parmi les vingt plus grandes puissances mondiales. C’est également avec ce parti que les négociations d’adhésion à l’Union Européenne ont débuté.

Des discussions qui désormais piétinent. Car au-delà des résultats économiques, c’est la politique du gouvernement islamo-conservateur qui dérange. Le train de réformes conduit par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est souvent accusé d’éloigner la Turquie de son système profondément nationaliste et laïque hérité du fondateur Mustafa Kemal Atatürk.

Longtemps visé par les coups d’État de la junte militaire, qui se revendique gardienne des valeurs kémalistes, l’islam politique se vit aujourd’hui de façon décomplexée en Turquie. Certains n’hésitent plus à parler d’une revanche des islamistes, arrivés au pouvoir par les urnes, et qui ont réussi à mettre au pas l’armée après des années de répression.

Lundi 30 septembre, le Premier ministre turc a ainsi dévoilé une série de réformes dans le domaine des libertés publiques. Parmi ces amendements figure notamment l’autorisation du port du voile dans certaines instances gouvernementales. Pour le Parti de la justice et du développement, cette décision a pour but de restituer un droit fondamental à la frange conservatrice, dans un pays où plus d’une femme sur deux porte le foulard islamique. Une véritable révolution pour les étudiantes voilées, qui espèrent désormais bénéficier d’un meilleur statut dans la société.

Fort d’une majorité au Parlement à Ankara, le gouvernement islamo-conservateur a également fait voter, au printemps dernier, une loi prévoyant des restrictions sur la vente d’alcool. Si l’argument de la protection des mineurs et de la santé publique est officiellement mis en avant, certaines paroles d’Erdogan font grincer les dents. Dans un discours prononcé fin mai lors d’une réunion de l’AKP, le chef du gouvernement défendait ce projet de loi en expliquant vouloir faire naître en Turquie "une génération pieuse et pas de drogués". Des propos vivement critiqués par l’opposition laïque, qui dénonce une islamisation rampante de la Turquie.

Un malaise qui a vu naître au mois de juin un large mouvement de contestation sociale. Par centaines de milliers, les Turcs sont descendus dans les rues pour demander la démission d’un gouvernement accusé de dérive autoritaire et islamiste. Des manifestations auxquelles les autorités ont répondu par un usage excessif de la force, conduisant au fil des semaines à l’essoufflement du mouvement.

Un avertissement qui ne devrait pas être sans conséquence sur les résultats des prochaines élections prévues au mois de mars prochain.