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“La seule limite de la NSA est humaine”

Les dernières révélations sur les programmes de surveillance de la NSA confirment que les espions américains peuvent tout savoir sur les activités des internautes. Mais que peuvent-ils faire de cette masse d’informations et quel est leur but ?

Rien n’échappe-t-il vraiment à la NSA ? Au fil des révélations issues des documents fournis aux médias par l’ex-consultant de la CIA Edward Snowden, la réponse à cette question est de plus en plus positive. Cette fois-ci, le "Washington Post" explique comment l’Agence nationale américaine collecte les carnets d’adresses de tous les utilisateurs des principales messageries électroniques (Gmail, Yahoo!, etc.) et des services de messageries instantanées comme celles de Facebook ou Microsoft.

De nouvelles informations qui peuvent, certes, paraître secondaires au regard de l’armada d'outils de la NSA, comme le programme Prism. Ce dernier permet déjà à l'Agence américaine de connaître tout ce que les internautes - essentiellement non-Américains - font sur l’Internet. Reste que l’accès aux carnets d’adresses donne un meilleur profil de l’internaute. “Cela permet de cartographier les relations et, si les contacts sont accompagnés de notes précises, de connaître des informations personnelles ou même professionnelles comme l’adresse physique ou encore le poste occupé par une personne”, souligne à FRANCE 24 Jean-François Beuze, président de Sifaris, une société d’expertise en cybersécurité

“À la lumière de toutes les révélations, je ne sais pas quel aspect de la vie numérique des internautes échappent encore à la vigilance de la NSA”, reconnaît cet expert. “Ils peuvent lire tout ce qui circule sur le réseau et collecter toutes les données susceptibles de dresser un portrait complet d’un suspect”, poursuit-il.

Le seul hic est la masse des données interceptées à l’aide de ces programmes de cybersurveillance. Rien que la collecte de tous les carnets d’adresses équivaut à capter les informations de centaines de millions d’internautes. Pour faire face à cet afflux, la NSA dispose, depuis septembre 2013, d’un gigantesque centre de données à Bluffdale, dans l'Utah - en plus de cinq centres plus anciens et moins importants - capable de stocker cinq zettaoctets, ce qui est “l’équivalent de 250 milliards de DVD”, précise Jean-François Beuze.

XKeyscore, le “moteur de recherche” de la NSA

Si le stockage n’est, pour l’Agence américaine du renseignement, pas un problème, il en va tout autrement du traitement de toutes ces données. “Actuellement, le personnel de la NSA est capable d’analyser entre 20 et 25 % de toutes les informations collectées”, affirme Alain Charret, spécialiste des questions de guerre électronique et auteur de “La guerre secrète des écoutes”. Pour Jean-François Beuze, “la seule limite de la NSA n’est ni légale, ni technologique : elle est humaine”.

Afin de s’y retrouver dans cette masse de données, les agents de la NSA disposent de XKeyscore. Cet outil est “un énorme moteur de recherche qui permet de puiser les informations pertinentes dans l’océan d’informations que l’agence collecte”, résume Jean-François Beuze. Encore faut-il analyser ensuite tous les résultats obtenus grâce à XKeyscore. “Si, par exemple, quelqu’un reçoit par erreur un appel d’une personne qui se révèle être suspectée de terrorisme, il faut espérer qu’il y aura un agent capable de comprendre que le coup de fil n’était qu’une erreur”, explique Alain Charret.

Par ailleurs, cet expert et ancien militaire juge que “tous ces programmes de surveillance sont loin d’être aussi efficaces que les autorités américaines veulent bien le prétendre”. Surtout au regard de la lutte contre le terrorisme citée Barack Obama pour justifier l’existence du programme Prism. “Cela fait longtemps que les décisionnaires de groupes terroristes, comme al-Qaïda, utilisent aussi peu que possible les moyens modernes de communication comme Internet”, rappelle Alain Charret. Il juge peu probable que la NSA tombe sur le carnet d’adresses électroniques des dirigeants terroristes. Au mieux, d’après lui, “un exécutant de base de ces groupes qui aurait été mal sensibilisé aux risques” pourrait tomber entre les mailles des innombrables filets de la NSA. Cet expert pense plutôt que l’administration américaine “se retranche derrière la guerre contre le terrorisme pour justifier des écoutes à but commercial [d’intelligence économique] ou même politique”.